Tunisie : Ennahdha, un aggiornamento de façade

Lors de son 10e Congrès, qui s’est tenu du 20 au 22 mai à Radès et Hammamet Sud, le parti islamiste Ennahdha a délégué la fonction du prêche à la société civile mais n’en conserve pas moins l’islam comme référentiel premier de son action politique.

Des militants du parti islamiste tunisien Ennahdha prient pour soutenir le gouvernement, le 7 septembre 2012 à Tunis. © Hassene Dridi / AP / SIPA

Des militants du parti islamiste tunisien Ennahdha prient pour soutenir le gouvernement, le 7 septembre 2012 à Tunis. © Hassene Dridi / AP / SIPA

Publié le 23 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

« Le peuple veut Ennahdha de nouveau », scandait la foule à l’ouverture du 10e Congrès de la formation islamiste, le 20 mai à Radès (sud de Tunis). Pas sûr cependant que la métamorphose annoncée depuis plusieurs mois du parti islamiste en parti civil plaise à une majorité de Tunisiens. Car malgré tous les grands discours, la séparation franche et nette entre politique et religieux n’a pas réellement eu lieu au sein du parti.

En délégant le prêche à des associations en relation avec le mouvement (même s’il n’y a plus de liens structurels), Ennahdha n’opère aucune vraie rupture. Tout au plus s’oriente-t-elle « vers un parti moderniste spécialisé », selon Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif. Une notion vague qui laisse perplexe devant un quelconque réel aggiornamento.

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Le mouvement, qui n’a jamais prétendu devenir laïque, établit juste une nouvelle répartition des tâches d’ordre opérationnel. Il s’arroge le titre d’islamo-démocrate, change d’allure mais pas d’ADN et évacue la question de la sécularité de l’État. Sur fond de démonstration de force et de show médiatique, la mue totale attendue revient en fait à une simple division de la formation islamiste correspondant à l’externalisation de certaines activités auprès de la société civile.

La Oumma, oubliée

Un rafraîchissement de façade qui contentera cependant beaucoup de monde, a minima. Les militants retrouvent une ligne à laquelle ils adhéraient déjà ; les acteurs internationaux se satisferont d’un habillage démocratique où l’islam politique devient moins prégnant ; et l’opinion publique tunisienne, lassée des discours identitaires, se sentira rassérénée. Désormais, Ennahdha oublie la Oumma, se réclame de la « tunisianité » et fait sien des arguments qui étaient jusque là l’apanage des démocrates.

Dans tous les cas, il s’agit de rassembler large. Malgré quelques tensions internes, qui n’ont pas manqué de s’afficher publiquement : Samir Dilou et Ameur Laarayedh, membres du bureau politique sortant, étaient absents, tandis qu’un clan, hostile aux motions adoptées sur le Conseil de la Choura, s’exprimait contre la ligne majoritaire par les voix de Abdelatif el-Mekki et de Abdelhamid Jelassi. Des dissensions qui n’ont pas empêché la reconduction de Rached Ghannouchi, le 23 mai, à la présidence du parti avec 75 % de suffrages.

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Visées électoralistes

Maître d’œuvre et promoteur du concept de parti civil, ce dernier n’a pas hésité à afficher des convictions inchangées lors de son discours d’ouverture. Il a mis en avant les martyrs d’Ennahdha avant ceux de la nation et a surtout précisé à ses bases que « la Tunisie était leur État ». En clair, les islamistes, qui garderont cette étiquette quoi qu’ils en disent, escomptent surtout provoquer un raz-de-marée en leur faveur aux élections municipales de 2017 et législatives de 2019.

Ennahdha, qui ne change pas de nom, brouille les lignes de la bipolarisation politique qui a marqué ces deux dernières années

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Enfin, en amendant les statuts du parti, ils opèrent une ouverture en assouplissant les conditions d’adhésion et annulent la condition des trois parrainages nécessaires pour devenir membre du parti. Mais les militants seront surtout sensibles au fait qu’Ennahdha désormais pourra présenter un candidat à la présidence, ce que le lui interdisait jusqu’ici son règlement.

Certes, cinq ans après être sortis de la clandestinité, les islamistes reconnaissent avoir commis des erreurs, avoir mal évalué la Tunisie moderne. Mais en adoptant une nouvelle position centriste, Ennahdha, qui ne change pas de nom, brouille les lignes de la bipolarisation politique qui a marqué ces deux dernières années. En chassant sur les terres de Nidaa Tounes, parti en pleine déconfiture, Ennahdha poursuit sa stratégie de rapprochement avec les destouriens. La Tunisie se dirige-t-elle vers une sorte de parti unique ? Une chose est sûre : la diversité démocratique a du plomb dans l’aile. Et l’opposition, molle et désorganisée, peine à la revivifier.

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