Tunisie : Essebsi – Ghannouchi, un deal à haut risque
Contre l’avis de leurs bases respectives, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi ont finalement réussi à faire en sorte qu’Ennahdha soit associée au gouvernement de Habib Essid.
Sa première liste, dévoilée le 23 janvier, avait suscité un tollé. Il aura fallu dix jours supplémentaires au Premier ministre tunisien, Habib Essid, pour présenter la composition définitive de son gouvernement. Adepte d’une communication minimaliste, le laconique Essid n’a pas réussi à lever les doutes à son sujet et à dissiper le scepticisme général. Droit dans ses bottes, il a voulu conserver à ses côtés le très controversé Najem Gharsalli au ministère de l’Intérieur.
Plus "inclusive", et à forte coloration partisane, son équipe remaniée a obtenu, le 4 février, le vote de confiance de l’Assemblée, par 166 voix contre 30. Le quota de ministres issus de Nidaa Tounes, parti vainqueur des législatives du 26 octobre, a été porté à 13. L’Union patriotique libre (UPL, de Slim Riahi), conserve ses trois portefeuilles, mais a dû faire une croix sur le ministère du Tourisme. Afek Tounes intègre l’attelage gouvernemental, avec trois postes à la clé, dont le ministère du Développement et de l’Investissement pour son leader, Yassine Brahim.
>> Lire aussi : le premier gouvernement de la seconde République en six mots
Mais la vraie nouveauté concerne la présence des islamistes d’Ennahdha, écartés par Essid de la liste initiale sous la pression de l’aile gauche de Nidaa. Zied Laadhari, 40 ans, l’une des figures montantes du parti, est nommé à l’Emploi et à la Formation professionnelle, et le mouvement hérite aussi de trois secrétariats d’État. Une participation avant tout symbolique pour la deuxième force politique au Parlement (69 élus), mais qui suscite de vifs remous et un réel malaise au sein des militants et des cadres de Nidaa Tounes, qui se retrouvent en porte-à-faux avec leurs promesses de campagne.
Le dirigeant islamiste a multiplié les concessions au nom de l’apaisement et du "consensus".
À l’époque, tous avaient assuré qu’aucune alliance n’était envisageable avec les islamistes. La veille encore, le bureau exécutif de Nidaa avait voté, à une large majorité, contre la participation d’Ennahdha au gouvernement. Le président Béji Caïd Essebsi et les membres de sa garde rapprochée en ont décidé autrement.
La raison avancée pour justifier ce revirement – procurer à l’équipe d’Essid une assise parlementaire robuste pour avancer sur les réformes – ne convainc qu’à moitié. Car Nidaa aurait pu sécuriser ses alliances avec les petites formations séculières et rallier des indépendants, garantissant ainsi une majorité étroite mais suffisante au gouvernement. D’autant que l’administration tunisienne, les milieux d’affaires, la sphère médiatique, l’intelligentsia, mais aussi les capitales arabes "amies" (Alger, Le Caire, Riyad), n’auraient pas vu d’un mauvais oeil une marginalisation des islamistes.
Une obligation politique et morale
Alors, comment comprendre le choix de BCE ? Sans doute procède-t-il d’une sorte "d’obligation politique et morale" envers Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, son ennemi d’hier, mais dont il s’est rapproché depuis leur rencontre à Paris en août 2013. Le dirigeant islamiste a multiplié les concessions au nom de l’apaisement et du "consensus". Il a obligé son parti à renoncer au pouvoir, en décembre 2013, pour y installer le technocrate Mehdi Jomâa.
Ennahdha a baissé pavillon à la Constituante en rendant possible l’adoption d’une Constitution séculière, expurgée de toute référence à la charia. Le parti a aussi accepté de supprimer la limite d’âge (75 ans) qui aurait empêché BCE de se porter candidat à la présidentielle de novembre 2014. Il s’est aussi abstenu de soutenir officiellement la candidature de Moncef Marzouki.
Ghannouchi, lui-même confronté à une vigoureuse opposition à l’intérieur de son propre mouvement à cause de sa ligne trop conciliante, tenait par-dessus tout à ce que sa formation reste au centre de l’échiquier politique et siège au gouvernement. Et ce pour conjurer le risque d’une "OPA idéologique" de la gauche sur Nidaa Tounes, synonyme à ses yeux de "danger mortel" pour le mouvement islamiste.
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