Ibrahima Faye (OFNAC-Sénégal) : « La corruption se nourrit de l’ignorance et de l’opacité »

L’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) a présenté mercredi son premier rapport annuel pour la période 2014-2015. Bienvenue dans l’univers de la petite et de la grosse corruption qui se niche, notamment, en plein cœur de l’administration sénégalaise…

Siège de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), à Dakar au Sénégal. © Capture d’écran / Site officiel de l’OFNAC

Siège de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), à Dakar au Sénégal. © Capture d’écran / Site officiel de l’OFNAC

Publié le 27 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

Santé, impôts, transports, emploi, éducation, collectivités locales, marchés publics… Tous les secteurs de la société sont passés en revue. L’objectif du rapport, le premier du genre, est clair : envoyer un signal fort aux fraudeurs, notamment parmi les agents de l’État, ainsi qu’aux Sénégalais pour qu’ils sentent que les autorités ont pris à bras le corps le problème et qu’il peuvent dénoncer toutes les indélicatesses qu’ils constatent dans l’administration.

L’initiative de l’OFNAC, créé fin 2012 après l’élection de Macky Sall, est inédite. Pas moins de 320 plaintes de citoyens ont été traitées par l’institution depuis son entrée en fonction en août 2014, sans compter les dénonciations anonymes qui représentent 38% des dossiers. Au total, 55 enquêtes ont été ouvertes et l’OFNAC n’exclut pas de transmettre ces affaires à la justice pour que des poursuites soient engagées.

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Le premier rapport s’attaque surtout à la « petite corruption », celle des petits montants – à partir de 500 ou 1 000 francs CFA (entre 1 et 2 euros). Et pour cause : « Du point de vue de la gravité, c’est la plus nuisible car les Sénégalais y sont confrontés au quotidien », explique Ibrahima Faye, vice-président de l’OFNAC, joint au téléphone par Jeune Afrique. Interview.

Jeune Afrique : Dans 65% des plaintes, l’administration est visée. Comment expliquez-vous ce chiffre ? 

Ibrahima Faye : Le constat est clair : lorsqu’ils ont affaire aux services publics, les Sénégalais rencontrent quotidiennement des problèmes. Or, ils ne savent pas à qui s’adresser. Notre objectif, c’est qu’à chaque problème qu’il rencontre, le citoyen puisse nous saisir le plus facilement possible : nous avons mis à disposition un formulaire en ligne et un numéro vert (800 000 900) disponible 7 jours sur 7…

La plupart du temps, la corruption se nourrit de l’ignorance des citoyens, à qui l’on réclame par exemple des sommes indues pour la délivrance d’un acte administratif, mais aussi de l’opacité de procédures souvent très longues. C’est pourquoi l’OFNAC a conduit plus d’une centaine de missions d’information et de sensibilisation dans des écoles, des marchés. Nous sollicitons aussi les imams, les hommes d’Église, les artistes, qui sont très influents et servent de relais. Il faut que les Sénégalais soient en alerte et reviennent à des valeurs positives, comme le respect du bien public.

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Sur 320 plaintes, seules 14 ont été déposées par des femmes… c’est très peu.

En effet, c’est très peu. La question est de savoir si les femmes sont moins touchées par la corruption ou si elles n’osent pas en parler. L’OFNAC conduit une réflexion sur ce sujet.

Pour élargir notre périmètre d’action au-delà de Dakar, nous devons renforcer nos ressources humaines et nos moyens financiers

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Des poursuites judiciaires ont-elles été engagées sur la base des enquêtes de l’OFNAC ?

Oui, mais je ne peux vous dire combien précisément. Huit rapports de l’OFNAC ont déjà été transmis aux autorités judiciaires. Seules les affaires dont les éléments découverts durant l’enquête relèvent de l’infraction pénale peuvent être portées devant la justice, en cas de détournements de fonds publics par exemple.

Dans de nombreux cas, il s’agit de simples violations du code général des impôts ou bien de fautes de gestion. Ces affaires n’en sont pas moins importantes puisqu’elles permettent de signaler des dysfonctionnements, administratifs notamment, dont nous devons tirer toutes les leçons.

L’OFNAC s’est elle-même auto-saisi de 9 affaires, mais vous n’en faites pas état dans le rapport, pourquoi ? 

Ces affaires sont liées à la grande corruption. L’OFNAC s’en est saisi directement car les citoyens ne sont pas directement touchés, et la bonne gestion des fonds publics fait partie de nos préoccupations. Mais, les enquêtes étant toujours en cours, nous avons choisi de ne pas en faire état.

En 2016, le budget de l’OFNAC a été revu à la baisse : 1,4 milliard de francs CFA au lieu de 1,65 milliard de francs CFA en 2015 (de 2,1 millions d’euros contre 2,5 millions d’euros). Vous le regrettez ? 

C’est un budget considérable, mais il faut aller plus loin. Nous disposons actuellement d’une quinzaine d’enquêteurs, des professionnels chevronnés et aguerris, souvent des officiers de police. Et pour que nous puissions traiter convenablement l’ensemble des plaintes et élargir notre périmètre d’action au-delà de Dakar, nous devons renforcer nos ressources humaines et nos moyens financiers. D’autant que les attentes des Sénégalais sont grandes.

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