Bonofa dans le viseur de la justice allemande

La société Bonofa, qui recrutait des partenaires crédules de Fort-de-France à Abidjan en leur promettant de faire fortune dans l’Internet, a maille à partir avec la justice. Ses fondateurs viennent d’être écroués en Allemagne.

Une affiche promotionnelle de Bonofa ciblant la Côte d’Ivoire. © D.R.

Une affiche promotionnelle de Bonofa ciblant la Côte d’Ivoire. © D.R.

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Publié le 26 mai 2016 Lecture : 4 minutes.

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C’est l’histoire d’un rêve qui devait « devenir réalité » – le slogan-phare de Bonofa –, mais qui a viré au cauchemar. Pour les adeptes africains de cette start-up basée à Sarrebruck, en Allemagne, qui leur promettait, en investissant dans ses logiciels, de devenir actionnaires du futur Facebook, l’heure est à la consternation. Le 19 mai, quelques jours après que Jeune Afrique a consacré une enquête aux méthodes douteuses de Bonofa, basées sur le recrutement pyramidal de nouveaux partenaires, les trois fondateurs de cette société immatriculée au Liechtenstein étaient interpelés dans le cadre d’un vaste coup de filet conduit par la justice allemande.

Au total, des perquisitions ont été effectuées chez 54 personnes liées aux Allemands Detlef Tilgenkamp, 63 ans, et Thomas Kulla, 54 ans. Tous deux, ainsi que le troisième mentor de Bonofa, Martin Böhm, 38 ans, et un quatrième associé qui affirme être un homme de paille, sont mis en examen et placés en détention provisoire. D’après les informations communiquées à la presse allemande par le porte-parole du Parquet, ils sont mis en cause pour des délits allant de l’abus de biens sociaux à l’escroquerie en bande organisée, dans le cadre de deux sociétés : Alphapool, qui proposait des assurances-vie censées produire des taux d’intérêt vertigineux, et Bonofa, cette start-up miraculeuse qui promet à ses partenaires, depuis 2012, de faire fortune dans l’internet en recrutant à l’infini de nouveaux adeptes et en devenant co-actionnaires d’un réseau social présenté comme révolutionnaire – bien que toujours virtuel.

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Un préjudice estimé à 20 millions d’euros

Le préjudice total est provisoirement estimé à 20 millions d’euros, et 60 000 personnes auraient jusque-là injecté des fonds dans Bonofa. « Ça m’interpelle beaucoup, reconnaît David Kablan, un Ivoirien devenu partenaire de Bonofa en décembre 2015. On a été accrochés, on a aimé cette entreprise. » Pour lui comme pour les milliers de partenaires africains et antillais – les foyers de recrutement privilégiés de Bonofa –, le réveil est douloureux. Si les messages adressés depuis quelques jours par les leaders européens de la société se veulent rassurants, évoquant une banale affaire de liquidation litigieuse de la société Alphapool, sans rapport aucun avec Bonofa, les informations venues d’Allemagne relatent une toute autre histoire.

Les leaders de Bonofa sont soupçonnés d’avoir mis sur pied une escroquerie pyramidale de type Ponzi, dissimulée derrière le paravent du marketing relationnel (MLM)

Comme Jeune Afrique l’évoquait avant leur arrestation, les leaders de Bonofa sont soupçonnés d’avoir mis sur pied une escroquerie pyramidale de type Ponzi, dissimulée derrière le paravent du marketing relationnel (MLM). Dans ce secteur controversé, qui n’a toutefois rien d’illégal, le recrutement, moyennant commissions, de clients susceptibles de devenir à leur tour distributeurs est axé sur la vente de véritables produits. Mais chez Bonofa, les six packs de logiciels proposés aux nouveaux partenaires (dont le prix s’étale de 100 à 2 500 euros) semblent bien n’être qu’un prétexte pour dissimuler une chaîne d’argent qui ne dit pas son nom. Si les nouveaux adeptes investissent, ce n’est pas parce qu’ils auront l’usage des logiciels Bonofa mais plutôt parce que ces « bundles » (offres commerciales) leur assurent des commissions allant jusqu’à 34% sur les achats de leurs futurs filleuls.

« J’ai conseillé aux membres de mon réseau de tout arrêter dans l’immédiat, je ne voudrais pas être associé à une éventuelle escroquerie », confie à Jeune Afrique Aboubacar Napo, lui aussi ivoirien, devenu l’un des principaux leaders africains de Bonofa. À la Réunion, Jean-Mathieu Taristas avait quant à lui sonné l’alarme début mai à travers la Web-Télé qu’il anime sur YouTube, LaRéunionTV. Si lui-même n’a jamais adhéré à Bonofa, il a une longue expérience du MLM et en connaît les dérives possibles pour en avoir parfois fait les frais.

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« La Côte d’Ivoire est l’un des pays d’Afrique où le MLM est le plus développé »

« Bonofa a recruté massivement aux Antilles avant de chercher à s’implanter à La Réunion, analyse Taristas. Ce sont des territoires où le taux de chômage dépasse 40% mais où les gens ont tout de même assez d’argent à investir pour intéresser ce genre de sociétés, qui leur font miroiter des profits mirobolants. » Un raisonnement qui vaut aussi pour le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire ou le Mali, où Bonofa a réussi une percée significative. « La Côte d’Ivoire est l’un des pays d’Afrique où le MLM est le plus développé », remarque Jean-Mathieu Taristas.

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Du côté de la direction de Bonofa, l’heure est au silence radio. Sandra Labouesse, la « sales manager » (directrice des ventes) exaltée qui apparaît dans de nombreuses vidéos promotionnelles de Bonofa, n’a pas donné suite à nos sollicitations. Quant au Belge Fred Delbecque, qui revendique 2 500 partenaires africains dans son réseau, il n’a pas souhaité nous parler, ayant manifestement peu apprécié l’article de Jeune Afrique éclairant les zones d’ombre de Bonofa.

Mercredi 25 mai, après avoir d’abord tenté de rassurer ses troupes quant aux répercussions éventuelles de l’information judiciaire ouverte en Allemagne, le « crown manager » emblématique de Bonofa dans la sphère francophone, l’Antillais Jean-Michel Cidemé, leur conseillait, par « mesure de sagesse », de « ne plus faire aucun paiement sur la plateforme ». Manifestement, le Bonofagate n’en est qu’à ses prémices.

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