Boko Haram : le président nigérian a échoué
Tolu Ogunlesi est journaliste, écrivain et poète.
Ici, à Lagos, il est tentant de considérer Boko Haram comme une tragédie lointaine. Nous sommes, bien sûr, conscients des milliers de morts, des centaines de milliers de personnes déplacées, des infrastructures détruites qui prendront des années à être reconstruites et coûteront des millions de dollars. Mais dans le sud du Nigeria, il est facile de se sentir à l’écart de la crise qui sévit au Nord.
Les effets de l’insurrection se ressentent pourtant dans le reste du pays. Une visite l’année dernière dans un marché de tissu à Abeokuta, à moins de 100 km au nord de Lagos, me l’a révélé. J’y interrogeais les marchands sur leur travail. Lorsque nous avons abordé les défis auxquels ils sont confrontés, je m’attendais aux réponses habituelles : l’électricité, la fiscalité, l’accès au crédit. J’ai en fait été surpris quand une femme a mentionné Boko Haram : depuis le début de l’insurrection, un certain nombre de ses clients du Nord ont tout simplement cessé de passer des commandes.
Les liens commerciaux entre le Nord et le Sud sont encore plus remarquables dans l’agriculture. Car une grande partie de la nourriture du Nigeria vient des régions septentrionales. Potiskum, une ville que les jihadistes ont attaquée à plusieurs reprises au cours des dernières années, est le plus grand marché de bétail d’Afrique de l’Ouest. Chibok, où des centaines de filles ont été enlevées en avril 2014, est un village de céréaliers dont la production est commercialisée à travers tout le pays. Le Nigeria semble souvent à la merci des prix cycliques du pétrole, des dévaluations monétaires et des déficits budgétaires. Mais la campagne de terreur de Boko Haram est devenue un enjeu encore plus important.
Il ne fait aucun doute que le Nigeria est confronté à une armée de psychopathes se faisant passer pour des prosélytes islamiques.
L’histoire du Nigeria est jalonnée d’affrontements intercommunautaires et de troubles civils. De 1967 à 1970, le pays a ainsi été déchiré par une guerre civile au Biafra qui a entraîné la mort de plus de 1 million de personnes. Dans le Nord, la crise actuelle a déjà fait plus de 11 000 morts. L’objectif déclaré de Boko Haram est de créer un califat islamique, mais la secte montre en fait peu d’empressement à établir un gouvernement alternatif. Il ne fait aucun doute que le Nigeria est confronté à une armée de psychopathes se faisant passer pour des prosélytes islamiques – et la seule réponse raisonnable devrait être la force militaire.
Au lieu de cela, le gouvernement collectionne les fiascos : après l’enlèvement des lycéennes de Chibok, il a fallu trois semaines au président Goodluck Jonathan pour s’adresser à la nation, et des mois avant qu’il ne rencontre les familles. L’année dernière, une déclaration triomphante d’un cessez-le-feu avec Boko Haram s’est avérée être un canular. Le massacre de Baga, en janvier, a également été accueilli par le silence du président. Goodluck Jonathan a par contre condamné les attentats terroristes à Paris, et les médias nous ont inondés des photos du mariage de sa nièce, qui a eu lieu le même week-end.
Ces faux pas ternissent le bilan du président, quoi qu’il en dise. Parmi les arguments développés par l’opposition : la corruption et le budget exorbitant alloué à la sécurité – avec les résultats que l’on connaît. Dans sa campagne, Goodluck Jonathan réfute ces accusations. Mais il évite surtout de mentionner Boko Haram. Il s’est peut-être rendu compte qu’énoncer des platitudes – "le terrorisme est un problème mondial", "le Nigeria n’est pas le seul à y être confronté", "le Nigeria triomphera" – sonne creux dans un discours de campagne.
Les Nigérians doivent prendre conscience que leur président a échoué. Mon espoir est que le jour de la Saint-Valentin, date du premier tour de l’élection, ils se souviendront des jeunes filles disparues de Chibok, des morts de Baga et des réfugiés du Nord. Et qu’ils ne pourront voter pour un commandant en chef à qui – il l’a démontré – l’on ne peut plus faire confiance.
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