Attentats en France : le Mali n’avait pas besoin de ça

 

Publié le 13 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Sarah Morris est journaliste.

Ceux qui connaissent le Mali le savent, le pays est au bord de l’explosion. Un vrai "cocktail Malitov", selon l’expression consacrée par Thierry Perret dans son dernier ouvrage : Mali, une crise au Sahel (Éditions Karthala). Dans ce contexte, l’onde de choc des attaques criminelles survenues du 7 au 9 janvier 2015 à Paris, faisant 17 victimes, qui se propage bien au-delà des frontières françaises, envenime encore le climat social.

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Le coup d’État de mars 2012 a mis à jour la gravité du mal qui gangrène le Mali. Corruption, fragilité de l’État, désespoir d’une jeunesse qui se voit sans avenir, abandon des régions du Nord avec un risque sécessionniste réel… La liste n’est pas exhaustive. Et au-delà des maux les plus apparents, d’autres, plus sourds, le rongent aussi. Lentement mais sûrement.

"L’Islam à la malienne", de rite malékite, tolérant, ouvert, n’est pas une fiction. Il est le plus répandu dans ce pays carrefour de l’Afrique de l’Ouest. Mais en me rendant à Bamako en décembre, j’ai tout de même été frappée par le changement d’ambiance.

Ces dernières années, on a vu se multiplier dans les rues de la ville, les "ninjas". Ces femmes qui ont troqué les tenues élégantes et colorées des Bamakoises contre le voile noir intégral, assorti de gants et de chaussettes. On ne voit plus que leurs yeux. Quand elles ne les dissimulent pas aussi derrière des lunettes de soleil.

>> Lire aussi : Mali : la Minusma face au MNLA… et au Gatia

À Bamako, la morale se fait plus stricte et plus oppressante.

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"Bamako by night" a changé elle aussi. La fête n’est plus ce qu’elle était. À cause de l’insécurité croissante, bien sûr. Ces temps-ci, on entend, chaque nuit ou presque, des coups de feu dans un coin ou un autre de la ville. On ne rentre plus à moto ou à pied tard dans la nuit, si on peut l’éviter. Mais ce n’est pas seulement ça. Il y a aussi que la morale se fait plus stricte et plus oppressante.

Enfin, certains discours aux sonorités inquiétantes ont pignon sur rue. Il s’en trouve par exemple qui condamnent les vues sécessionnistes de certains groupes armés du Nord, tout en disant que l’instauration de la charia à la mode intégriste, comme celle que Ansar Eddine, le Mujao et Aqmi avaient imposée, était une bonne chose. L’État, peut-être par peur, ne fait pas grand-chose contre ces discours.

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J’ai été très déroutée par les propos anti-France et anti-juifs publiés par certains amis maliens sur les réseaux sociaux. Ce ne sont pas des "fous de Dieu". Des gens simples, ouverts, qui ont fait des études supérieures, et qui, pour certains, ont eu l’occasion d’aller à plusieurs reprises pour des raisons personnelles ou professionnelles en France. Le texte plein de colère, qu’un jeune journaliste, Alhoudourou Almaimoune Maïga, par ailleurs opposé aux méthodes terroristes, a publié sur Facebook est très parlant.

Quand j’ai demandé à Maïga et aux autres de m’expliquer leurs propos, la réponse a été pour chacun la même : "Parce qu’on a insulté ma religion, on m’a insulté." C’est au plus profond d’eux-mêmes et de leur identité qu’ils se sont sentis attaqués. C’est compréhensible. Mais cela n’explique pas tout.

Il y a aussi l’Histoire, l’actualité, et les relations particulières que la France entretient avec le Mali. On pense à la traite négrière, au passé colonial, à leur cortège d’horreurs et d’humiliations. Le Mali est un pays qui, dès son indépendance en septembre 1960, a souhaité, plus que certains de ses voisins, marquer une distance avec la France, notamment en optant pour le socialisme. La présence actuelle des troupes françaises est vécue comme un mal nécessaire, préférable à l’éclatement du pays et à la terreur d’Aqmi et autres groupes jihadistes, mais comme un mal quand même. Les Maliens ont entre autres l’impression que la France profite de la situation pour faire de l’ingérence dans la politique intérieure malienne, en apportant un soutien aux rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).

Les Maliens ont aussi le sentiment que la France a une part de responsabilité dans le malheur qui frappe leur pays.

Ils ont aussi le sentiment que la France a une part de responsabilité dans le malheur qui frappe leur pays, car la crise du Nord-Mali est une conséquence de l’intervention française et occidentale en Libye. Et même sur place, la France joue un rôle ambigu. Elle combat militairement les jihadistes, tout en obtenant des pouvoirs publics maliens la libération de certains d’entre eux en échange d’otages français. Sans parler des rançons, véritable manne financière pour ces organisations criminelles.

Mais il y a aussi une relation de proximité avec la France. La diaspora est très nombreuse. Presque chaque famille a au moins un parent en France. Ne dit-on pas là-bas que Montreuil, en banlieue parisienne, est la deuxième ville du Mali ? Il y a internet, bien sûr, et la télévision. Dans beaucoup de foyers maliens, les chaines françaises sont aussi regardées que l’ORTM, la chaîne de télévision nationale. On sait les difficultés des immigrés et des afro-descendants en France. On voit les dérapages racistes et islamophobes de plus en plus fréquents dans les médias. On sent la montée de la xénophobie. On est au courant des péripéties de Dieudonné; et son discours sur la différence de traitement entre la traite négrière et la Shoah, entre l’antisémitisme et les autres racismes, sa dénonciation de la complaisance de l’État français à l’égard d’Israël, rencontrent un écho.

Pour toutes ces raisons, la venue d’IBK à la manifestation du 11 janvier 2015 a été très mal perçue par une partie des Maliens. Même si la parution du "numéro historique" de Charlie Hebdo été interdite au Mali, ça ne passe pas.

Alors, dans ce pays où l’État est très affaibli, où la paix ne tient, bon an mal an, qu’avec le secours polémique des troupes françaises, et où les islamistes sont en embuscade, quelles seront les conséquences des attentats parisiens et des manifestations bamakoises ? Et à qui cela profitera-t-il ? Non, vraiment, le Mali n’avait pas besoin de ça !

 

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