Art contemporain : fin de la biennale de Dakar, la suite en Suisse
Alors que le 12e Dak’Art prend fin début juin et que se pose déjà la question du 13e, la ville de Martigny en Suisse rend hommage à une manifestation qui a, malgré ses récurrents déboires, joué un rôle fondamental dans l’histoire de l’art contemporain africain.
La belle meurt mais ne se rend pas… C’est une histoire qui se répète, tous les deux ans depuis le début des années 1990. Chaque fois, les paris vont bon train : aura-t-elle lieu, cette Biennale de l’art africain contemporain censé réunir à Dakar (Sénégal) le gratin de la création continentale ? Et chaque fois, le miracle se produit in extremis ou presque. Cette année n’a pas fait exception à la règle, bien au contraire. Comme le disait fort à propos, un jour avant le vernissage, le secrétaire général de la manifestation, Mahmadou Rassouloulaye Seydi :« Cette 12e biennale est une véritable opération commando. » Et de fait, son Comité d’orientation s’est réuni à la fin du mois d’octobre 2015 et l’accord de convention n’a été signé qu’à la mi-novembre, ne laissant au directeur artistique Simon Njami qu’une poignée de mois pour réaliser ce qui se prépare en général sur deux ans. « Le ministre de la culture tenait à ce qu’il n’y ait pas de rupture », assurait Seydi tout en insistant sur l’effort considérable consenti par l’État (419 millions de francs CFA) pour soutenir une manifestation souvent considérée comme élitiste par les Dakarois.
Une lourde responsabilité
Doyenne des biennales d’art contemporain sur le continent, Dak’Art est attendue même par ses plus féroces contempteurs – qui n’en finissent pas de pointer ses erreurs d’appréciation, ses choix esthétiques, son organisation bancale… Pour l’actuel président du Comité d’orientation, Baidy Agne, qui est aussi le président du Conseil national du patronat sénégalais, « C’est l’événement culturel majeur des arts au Sénégal et c’est l’événement n°1 en Afrique. Il doit absolument se poursuivre car il participe du rayonnement de l’Afrique et du Sénégal. » En lançant cette manifestation, qui devait à l’origine avoir un pendant littéraire, le pays du président-poète Léopold Sédar Senghor s’est à vrai dire chargé d’une lourde et stimulante responsabilité.
Directeur artistique appelé à la rescousse à la mi-2015, Simon Njami était « l’un des rares commissaires de renommée internationale et connaissant bien le contexte sénégalais qui pouvait réaliser une biennale en quelques mois », à en croire Seydi. Avec la distance ironique et l’intensité qui le caractérisent, Njami commentait en ces termes les derniers jours de préparation : « C’est rock’n’roll ! D’autant que si c’était une machine bien huilée, ça se saurait et ça se passerait mieux ! » Militant pour une véritable continuité entre chaque biennale, le Camerounais insiste sur la nécessité de mettre en place une organisation pérenne : « Rien ne peut commencer sans le Comité d’orientation et celui-ci devrait être nommé dans les deux mois qui suivent la fin de ce 12e Dak’Art. Tout procède de ce fameux comité et si ce que j’espère se traduit dans les faits, mon successeur aura un an et demi pour préparer la biennale suivante. Le problème quand on n’a pas assez de temps, c’est que l’on n’a aucun espace pour se tromper. »
Quand Dakar invite le monde
Acerbe vis-à-vis du manque d’intérêt des États africains pour la création, Njami se fait presque diplomate quant au Sénégal auquel il faut reconnaître une certaine constance. « C’est une initiative sénégalaise et le plus gros bailleur, c’est le Sénégal, qui a de surcroît augmenté son budget cette année. C’est pour cela qu’il faut respecter la charte de l’événement et, d’une certaine manière, rendre l’argent dépensé. Au bout du compte, le politique va quantifier les forces en présence. Ici, il n’est pas possible de faire un OVNI qui serait apprécié à New York. »
D’où la nécessité d’une Biennale un peu à part dans le circuit international, branché, riche et endogame de l’art contemporain. « Je pense d’abord à Dakar, j’invite le monde depuis Dakar, poursuit Njami. Je ne veux pas forcément rendre l’art contemporain populaire, mais je veux le rendre accessible. Partout dans le monde, entrer dans un musée n’est pas forcément facile. Ce contre quoi je me bats, c’est contre le fait que les gens s’excluent d’eux mêmes. Je ne peux pas présupposer de ce que le peuple veut, mais je peux lui donner l’opportunité d’apprécier. L’important, c’est de venir. »
Cette année, l’exposition internationale titrée « Réenchantements » était ainsi recentrée sur la création africaine proprement dite, avec des propositions plastiques fortes, mais toujours traversées d’intentions politiques assumées – ce qui n’est pas toujours valorisé dans le monde occidental (et dominateur) de l’art contemporain.
Quand la Suisse honore le Sénégal et l’Afrique des arts
Si ce 12e Dak’Art se termine au début du mois de juin, nul doute que, bon gré mal gré, la 13e édition aura lieu en 2018. En attendant cette date, l’excellente nouvelle, c’est que la Biennale s’exporte en Suisse, du 10 juin au 18 septembre 2016. En dix lieux d’exposition, la ville de Martigny présentera ainsi plus de 30 artistes ayant été exposés à Dakar. Cette mini-biennale intitulée Dakar-Martigny, Hommage à la biennale d’art contemporain sera composée d’un « in » – Manoir de la ville, fondation Barry et Musée des sciences de la terre – ainsi que d’un « off » occupant une variété de lieux, parmi lesquels boutiques, cafés, librairies. Les œuvres présentées « prennent en compte de multiples réalités […] marquées par le manque de moyens financiers, les tensions postcoloniales, la fracture identitaire, les discriminations et injustices, le poids de l’histoire [mais également] des forces sociales, philosophiques et culturelles dont la spiritualité, le partage, la contemplation, les entrelacs artistiques », écrit Hélène Tissieres, la commissaire de l’exposition qui a été aidée dans ses choix par le marchand d’art Jean-Philippe Aka.
Parmi les artistes qui seront du voyage, le Ghanéen John Akomfrah qui fit sensation à Venise l’année dernière, son compatriote installé au Nigeria El Anatsui, le Malien Abdoulaye Konaté, les Sénégalais Ndary Lô et Moustapha Dimé, les Ivoiriens Jean Servais Somian et Aboudia… La liste de ces noms suffit pour convaincre qu’après plus de vingt ans d’existence, la biennale de Dakar a déjà remporté l’un de ses paris, faire connaître les créateurs du continent chez eux et les exporter au-delà du continent. Ce n’est pas pour cela qu’elle doit cesser d’exister ou renoncer à s’améliorer. Comme le dit avec philosophie Simon Njami : « Si quand je ne suis plus là, il faut tout recommencer, alors c’est comme si je n’avais pas été là. »
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