Burkina Faso : voici pourquoi Djibrill Bassolè peut (ou pas) devenir président

L’ancien chef de la diplomatie de Blaise Compaoré est pressenti pour être candidat à l’élection présidentielle du 11 octobre prochain. Voici ce qui pourrait le faire gagner, mais aussi le faire perdre.

Djibrill Bassolè, ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères. © AFP

Djibrill Bassolè, ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères. © AFP

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Publié le 12 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Ses points forts

Un poids-lourd de la scène politique

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Djibrill Bassolè, 58 ans, a longtemps occupé une place centrale au cœur de la République. Emblématique ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, il a dirigé la diplomatie burkinabè de 2007 à 2008, puis de 2011 à octobre 2014. Il avait été auparavant ministre délégué puis ministre de la Sécurité entre 1999 et 2007. Bassolè a donc passé une douzaine d’années à des postes stratégiques au sommet de l’État. Plutôt qu’un politicien pur jus, il se définit comme un "serviteur de l’État, qui va là où le Faso a besoin de [lui]".

Cette longévité au pouvoir fait de Djibrill Bassolè un personnage majeur de la scène publique burkinabè. Gourounsi originaire de la région du Sanguié (Centre-Ouest), il connait la majorité des responsables politiques nationaux, tous bords confondus. Ce réseau étoffé pourrait lui être fort utile au moment venu, par exemple en sollicitant le ralliement des uns ou l’alliance des autres. Bassolè peut également compter sur ses connexions franc-maçonniques, ayant récupéré les fonctions de grand maître de la Grande Loge maçonnique du Burkina de son ancien "boss", Blaise Compaoré.

Un carnet d’adresse bien fourni

Durant ses années à la tête du ministère des Affaires étrangères, Djibrill Bassolè s’est tissé un important réseau régional et international. Il a mené des médiations dans plusieurs crises majeures qui ont frappé le continent ces dernières années, du Niger au Darfour en passant par le Togo et la Côte d’Ivoire. De 2013 à 2014, avant de tomber en disgrâce à Bamako, il s’est largement consacré à la crise malienne, le Burkina Faso ayant été désigné médiateur de la Communauté  économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour le Mali. Il a alors beaucoup voyagé dans toute la sous-région, mais aussi à New-York et Paris.

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Disposant de ses entrées dans de nombreuses capitales africaines, ce musulman est aujourd’hui l’envoyé spécial de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) pour le Sahel. Il effectue encore ponctuellement des déplacements sur le continent ou dans les pays du Golfe, où il a également noué de solides contacts.

Le soutien d’une partie des militaires

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Djibrill Bassolè est militaire de formation. Jeune officier sous la révolution sankariste, il a commandé les deux plus grandes compagnies de gendarmerie du Burkina : Bobo-Dioulasso, en 1983-1984, puis Ouagadougou, de 1984 à 1987. Il a ensuite été nommé chef d’État-major de la gendarmerie, corps qu’il a dirigé de 1997 à 1999 avant de devenir ministre.

Nommé général de gendarmerie en avril 2014, Bassolè avait renfilé l’uniforme les 30 et 31 octobre derniers, pendant l’insurrection contre Blaise Compaoré. Revenu dans le giron militaire depuis la dissolution du gouvernement, l’ancien ministre des Affaires étrangères a toutefois affirmé, lors d’une récente interview au site Lefaso.net, qu’il prendrait "bientôt congé de l’armée pour mieux servir mon pays et l’Afrique, car ma carrière est désormais politique". Il pourrait alors compter sur le soutien d’une partie de ses anciens compagnons d’armes, même s’il devra probablement faire face à l’opposition d’une partie du régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ex-garde prétorienne de "Blaise", qui a toujours été rival aux autres corps d’armée.

Ses points faibles

Un intime de Blaise Compaoré

Djibrill Bassolé et Blaise Compaoré se connaissent depuis plus de vingt ans. Au milieu des années 1990, Bassolè a travaillé au cabinet de la présidence avant d’être nommé chef d’État-major de la gendarmerie en 1997. Il a notamment été le représentant spécial du président dans les crises togolaise, en 1994, puis nigérienne, en 1995. "Ils se faisaient tous les deux une confiance réciproque et entretenaient une certaine intimité, raconte un de leurs anciens collaborateurs qui a longtemps travaillé avec eux. Ils avaient chacun leur spécificités, mais au final, Djibrill ressemblait assez à Blaise."

Cette image de serviteur fidèle, voire de dauphin, est évidemment un handicap en vue d’une éventuelle candidature à la prochaine présidentielle. Reste un important point d’interrogation, qui pourrait se transformer en avantage pour Djibrill Bassolè : le rôle qu’il a joué durant la chute de son ancien patron. Non partisan du projet de modification constitutionnelle, l’ex-ministre est en effet soupçonné par Compaoré et ses proches de les avoir trahis, en raison du rôle qu’il a joué auprès du général Honoré Nabéré Traoré durant les deux jours d’insurrection. "Il n’est jamais agréable d’être accusé de traîtrise, mais s’il faut être Judas pour éviter le carnage, un bain de sang et une situation de chaos généralisé pour le pays, alors je devrais l’assumer", avait-il notamment répondu au journal L’Observateur paalga en novembre dernier.

Un parti en rodage

Djibrill Bassolé n’est pas encore candidat, mais il peut déjà compter sur l’appui d’un nouveau parti : la Nouvelle alliance du Faso (Nafa). Cette formation est dirigée par Rasmané Ouédraogo, un ancien député du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ex-parti au pouvoir. La Nafa regroupe de nombreux cadres du CDP et d’ex-responsables de l’Alliance pour la démocratie et la fédération-Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA), qui s’étaient ralliés au projet de modification constitutionnelle de Blaise Compaoré.

Pour la Nafa, qui a clairement annoncé que son objectif était de porter Djibrill Bassolè au pouvoir, la concurrence s’annonce rude. Face à elle se trouve des partis structurés, disposant de moyens plus importants et d’un ancrage local dans tout le pays, tels que l’Union pour le progrès et le changement (UPC), le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) ou encore le Faso autrement. Chacun est conduit par des personnalités susceptibles de gagner Kosyam, telles Zéphirin Diabré, Roch-March Christian Kaboré, ou encore Ablassé Ouédraogo.

La "malédiction" des ministres des Affaires étrangères

Rien ne dit que Djibrill Bassolè connaîtra le même destin, mais il ne fait pas bon briguer la magistrature suprême lorsqu’on a été ministre des Affaires étrangères en Afrique de l’Ouest. Plusieurs anciens chefs de la diplomatie se sont cassés les dents sur le scrutin présidentiel dans leurs pays. Edem Kodjo au Togo, Tiébilé Dramé au Mali, Cheick Tidiane Gadio au Sénégal… Les exemples ne manquent pas.

S’il se présente, Bassolè pourra toutefois se rassurer en se disant qu’il n’est pas le seul à tenter le coup. Amara Essy, ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères, est officiellement candidat à l’élection présidentielle ivoirienne prévue au mois d’octobre prochain.

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Benjamin Roger

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