Grèce – UE : la Guerre de Troie n’aura pas lieu
Après son triomphe électoral, le 25 janvier, Alexis Tsipras avait multiplié les déclarations belliqueuses concernant l’annulation de la dette de son pays. Il a déjà baissé le ton. Les négociations qui s’engagent à Bruxelles s’annoncent rudes, mais pas sans espoir.
Au cours du week-end du 1er février, une bataille rangée semblait inévitable entre l’Union européenne et le nouveau gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras, leader du très radical parti Syriza. Porte-parole d’une population qui n’en peut plus de la potion amère imposée par Bruxelles (salaire minimum amputé de 29 %, réduction de 30 % des retraites, licenciement de milliers de fonctionnaires, etc.) et fort de son succès sans appel aux législatives du 25 janvier, ce dernier s’était aussitôt lancé à l’assaut au son du canon.
Il avait juré qu’il n’était plus question que son pays dépende des prêts européens ; qu’il ne voulait plus entendre parler de la funeste "troïka" formée par le FMI, la Banque centrale européenne (BCE) et l’Union européenne (UE) ; qu’il allait mettre un coup d’arrêt aux privatisations, à commencer par celle du port du Pirée (promis aux Chinois) ; et qu’il allait augmenter le salaire minimum et rembaucher douze mille fonctionnaires. Dans la foulée, il avait même condamné les sanctions internationales contre la Russie !
Tsipras se faisait fort de trouver les 12 milliards d’euros requis par ce virage à 180 degrés. Comme l’expliquait Yanis Varoufakis, son ministre des Finances, la Grèce allait "arrêter d’imiter Sisyphe", ce héros mythologique condamné par les dieux à pousser sans fin un rocher qui ne cesse de dévaler la pente. Était-ce à dire qu’il envisageait de sortir de l’euro ?
Ici et là, des applaudissements nourris retentirent. Le Français Jean-Luc Mélenchon, président du Front de gauche, se félicita que l’Europe de la finance soit enfin bouleversée par "un tremblement de terre". Bras politique de l’IRA, le Sinn Féin irlandais salua "l’éblouissante victoire" de Syriza, tandis que, le 31 janvier sur la place de la Puerta del Sol, à Madrid, Pablo Iglesias et son Podemos mobilisaient quelque 150 000 Espagnols vomissant équitablement la droite et la gauche, coupables l’une et l’autre d’avoir infligé à leur peuple austérité et chômage de masse (25 % de la population active). Leur cri de ralliement ? Imitons les Grecs et, modernes Don Quichotte, défions les moulins à vent européens !
Manque de courage des gouvernements
Même Barack Obama parut tenté de rejoindre cette nouvelle Internationale. Sur CNN, il estima qu’on ne pouvait continuer à "pressurer un pays en pleine dépression". Et que, "à un moment donné, il faut une stratégie de croissance pour pouvoir rembourser ses dettes".
Membre des Économistes atterrés, un collectif de chercheurs hétérodoxes, Dominique Plihon reste convaincu que plusieurs pays pourraient sortir de la zone euro. À moins, bien sûr, que l’Europe "change de logiciel sous l’effet de ce courant politique qui commence à prendre du poids et qui remet en cause des politiques d’austérité dont le coût est considérable, et l’échec, patent". Il approuve l’idée d’organiser une conférence européenne appelée à traiter les maux de tous les pays dont la croissance est en panne.
"On a raisonné de façon purement financière", explique-t-il, il est temps de "réintroduire l’économie pour que celle-ci redémarre en Europe". Le chercheur déplore le manque de courage des gouvernements, à commencer par celui de la France.
Au cours de leur tournée des capitales européennes, la semaine passée (2-7 février), Tsipras et Varoufakis ont donc été contraints de rétropédaler.
Face à cette offensive, l’Allemande Angela Merkel est restée de marbre. "Je ne vois pas de nouvel effacement de la dette grecque", a-t-elle tranché. Elle ne croit guère à la contagion de l’onde de choc Syriza. Ce parti a certes recueilli plus de 36 % des voix, mais Podemos n’est crédité que de 15,6 % des intentions de vote et le Sinn Féin de 21 %. Pas question donc de laisser les "Indignés" d’Europe contaminer l’Italie et la France. Et puis, l’avisée chancelière sait que les réserves du gouvernement grec ne lui permettent pas d’aller au-delà de la fin du mois de mars, les contribuables hellènes ayant renoué avec leur fâcheuse habitude de ne pas payer leurs impôts…
Au cours de leur tournée des capitales européennes, la semaine passée (2-7 février), Tsipras et Varoufakis ont donc été contraints de rétropédaler. Et ils l’ont plutôt habilement fait. Non contents de se rallier à la déclaration des vingt-sept condamnant l’intervention de la Russie en Ukraine, ils se sont félicités de l’action des Chinois dans le port du Pirée, et, surtout, ont renoncé à exiger l’abandon pur et simple de leur dette : ils sont désormais favorables à son indexation sur la croissance du produit intérieur brut. S’ils persistent dans leur refus de parler avec les équipes de technocrates de la troïka, c’est parce qu’ils veulent négocier directement avec leurs patrons.
La tension étant tombée d’un cran, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a annoncé que la troïka disparaîtrait sous sa forme actuelle, bien peu démocratique il est vrai. Par la voix de son président et de son ministre des Finances, la France a quant à elle fait savoir qu’elle appuierait la négociation d’un nouveau contrat avec la Grèce. Les Bourses européennes ont aussitôt retrouvé des couleurs.
Il est trop tôt pour parier sur l’issue des négociations techniques qui vont s’engager en vue d’alléger le fardeau grec. On sait seulement qu’elles seront rudes et qu’elles vont durer des mois. Tsipras sera-t-il un nouveau Lula, l’ex-gauchiste brésilien devenu réformiste après son élection à la présidence ? Ou un nouveau Chávez, le populiste impénitent dont le dogmatisme a plongé le Venezuela dans une crise sans précédent ?
Trois contraintes
Les participants à la réunion de l’Eurozone qui s’ouvre ce 11 février à Bruxelles vont devoir tenir compte d’au moins trois contraintes. 1. La dette grecque est insoutenable, mais il ne faut pas le dire parce que les Européens du Nord exigent pour l’instant que son remboursement soit maintenu. 2. Seule la BCE est en mesure de fournir l’argent nécessaire en attendant la signature d’un accord, mais elle ne veut surtout pas prendre le risque que la Grèce fasse défaut. 3. Comme il y a trois ans, Merkel va devoir convaincre l’opinion allemande, très hostile au laxisme des Grecs, de consentir un nouvel effort en leur faveur. La sortie de pays de la zone euro serait en effet calamiteuse pour tout le monde…
La "guerre de Troie" entre Athènes et Bruxelles ne devrait donc pas avoir lieu. Mais elle ne sera définitivement évitée, explique Philippe Herzog, fondateur du think tank Confrontations Europe, qu’à la condition que "l’UE se réforme en profondeur" et qu’elle "mette davantage de flexibilité dans son pacte de stabilité, comme l’y incitent le plan d’investissement de Jean-Claude Juncker ou l’assouplissement dit quantitatif décidé par Mario Draghi, le patron de la BCE". Avec une partie de la gauche, il est convaincu qu’"une Europe sans budget ni solidarité n’est pas viable". On l’aura compris : la crise grecque va bien au-delà de la Grèce.
Une dette astronomique
Montant total : 306,7 milliards d’euros, soit 177 % du PIB (autrement dit de la richesse produite chaque année par la Grèce)
Durée : trente ans
Taux : 1,5 % au maximum
Créanciers : Fonds européen de stabilité financière (FESF) : 141,8 milliards ; États européens : 52,9 milliards ; FMI : 32 milliards ; BCE : 27 milliards ; marchés : 53 milliards. Ce qui signifie que, soit dans le cadre d’aides bilatérales, soit en raison de leur quote-part dans le FESF, l’Allemagne détient sur la Grèce une créance de 56 milliards d’euros, et la France de 40 milliards
La solidarité européenne s’est manifestée par l’octroi à la Grèce de deux plans de sauvetage – l’un en 2010 (110 milliards d’euros), l’autre en 2012 (130 milliards) -, mais aussi par l’annulation de 70 % de la dette détenue par divers privés, soit 107 milliards. Enfin, la BCE rétrocède à la Grèce une partie des intérêts que celle-ci lui verse
Selon les experts, il faudra soixante ans à la Grèce pour rembourser ses emprunts. Dès 2010, Mark Carney, aujourd’hui gouverneur de la Banque d’Angleterre, nous déclarait : "La question n’est pas de savoir s’il faut réduire la dette grecque, mais quand et de quelle manière." Cinq ans plus tard, la question est plus que jamais d’actualité
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