Tunisie : ce que change la réforme du Code pénal en matière de garde à vue
La réforme du Code de procédure pénale, entrée en vigueur le 1er juin, garantit le droit à un avocat, l’information de ses droits au moment de l’arrestation, ainsi que la réduction de la durée de la garde à vue. Une avancée considérable en Tunisie, qui soulève néanmoins plusieurs doutes et questions quant à son application.
« Ce qui se passe pendant les premières heures et les premiers jours qui suivent l’arrestation peut s’avérer déterminant pour l’issue de l’ensemble du processus judiciaire », avait averti l’organisation Human Rights Watch dans son rapport alarmant de 2013 sur « La situation des personnes en garde à vue en Tunisie ».
Depuis, la réforme du Code de procédure pénale a permis de franchir un pas important. Adoptée le 2 février par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le nouvel article 13bis du Code de procédure pénale est officiellement entré en vigueur le 1er juin 2016. Une loi « révolutionnaire », une « excellente nouvelle pour le justiciable tunisien », a déclaré Antonio Manganella, directeur d’Avocats sans frontières (ASF) en Tunisie, à Jeune Afrique.
Qu’est-ce qui change ?
D’après cette réforme, toute personne (tunisienne ou étrangère, prévenu ou victime) a le droit de faire appel à un avocat en cas de mise en garde à vue dans un commissariat de police, de la garde nationale ou des douanes. La durée de la garde à vue a également été réduite, passant de 72 heures à 48 heures renouvelables une seule fois pour les crimes, et limitée à 48 heures pour les délits et à 24 heures pour les contraventions. Il reviendra ensuite au procureur de la République de décider de la libération ou de la prolongation de la détention du prévenu, en mentionnant les motifs. Désormais, « les prévenus peuvent enfin dire ‘Je veux faire appel à un avocat’, comme dans les films », s’est réjoui Maître Habib Younsi, membre de l’Ordre national des avocats de Tunisie (ONAT).
ça semble bête mais on a tjrs rêvé de ça en regardant les films et séries américaines. On n'y avait pas le droit. https://t.co/EPW2tG2gTw
— Sarah Ben Hamadi (@Sarah_bh) May 31, 2016
La loi dispose aussi que les officiers de police doivent avertir immédiatement un proche du suspect détenu en garde à vue, ou les autorités diplomatiques ou consulaires pour les étrangers. Ils sont ensuite tenus d’informer le suspect du motif de son arrestation et de la procédure engagée à son encontre, et un examen médical peut être demandé pour ce dernier.
La garde à vue, comme toute mesure privative de liberté, doit rester un recours exceptionnel, rappellent les acteurs de la société civile. Une inspection devrait être assurée par le ministère de la Justice.
Comment devraient être appliquées ces nouvelles dispositions ?
Afin que l’avocat puisse s’entretenir seul à seul avec le suspect, et que le secret professionnel soit respecté, la mise en place d’une pièce fermée dans chaque commissariat du pays a été demandée auprès du ministère de l’Intérieur, a indiqué Maître Habib Younsi. Une permanence pour les week-ends et jours fériés est également en train de se mettre en place dans chaque région, a-t-il ajouté, et une liste d’avocats disponibles sera distribuée dans les commissariats.
En cas de manquement aux nouvelles dispositions de l’article 13bis, la nullité de la procédure pourra être soulevée.
Quels points inquiètent encore ?
« Cette réforme constitue un vrai marqueur dans la construction de l’État de droit en Tunisie », a déclaré Antonio Manganella. Dans un communiqué publié le 31 mai, son organisation s’inquiète néanmoins de nombreuses difficultés pratiques et du travail qu’il reste encore à faire pour rendre effectif et accessible ce dispositif. « Les autorités n’ont pas assez communiqué sur l’entrée en vigueur de la loi. Or, si le justiciable ne connaît pas son droit, il peut difficilement le revendiquer », fait remarquer Héla Ben Salem, coordinatrice du programme réforme de la justice auprès d’ASF.
D’autres questions se posent aussi concernant notamment le financement de tels changements (prise en charge des frais de justice, rémunération des avocats et des magistrats, travaux dans les commissariats…), la formation des différents acteurs (policiers, avocats, procureurs), l’application effective de la nullité de la procédure, ou encore la présence d’un interprète pour les personnes malentendantes ou pour les étrangers.
Par ailleurs, une des dispositions de l’article 13 prévoit la possibilité pour le procureur de la République d’interdire, pour « les nécessités de l’enquête », l’accès à l’avocat pour une durée de 48h dans les affaires de terrorisme. La définition de terrorisme dans la nouvelle loi antiterroriste de 2015 étant jugée trop vague…
Lancé dans un quartier du Grand Tunis avec la participation d’une trentaine d’avocats bénévoles, le projet pilote « Garde à vue » d’ASF doit permettre de cerner concrètement les difficultés inhérentes à l’application de la nouvelle loi. Il aboutira à la publication d’un guide pratique et à la diffusion de recommandations à toutes les parties concernées. « Il faut surtout de la bonne volonté de la part de tout le monde et les différents acteurs (surtout les ministères et les officiers de police) ne doivent pas se sentir menacés par l’entrée en vigueur de cette loi », conclut Antonio Manganella.
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