Kurdistan : Gill Rosenberg, l’amazone juive

Aventurière dans l’âme, cette Israélo-Canadienne a défrayé la chronique en s’engageant aux côtés des peshmergas pour lutter contre les jihadistes. Portrait d’une femme au parcours tumultueux.

Gill Rosenberg (à g.) préparant du pain au bouglour dans un village du Kurdistan irakien. © DR

Gill Rosenberg (à g.) préparant du pain au bouglour dans un village du Kurdistan irakien. © DR

perez

Publié le 10 février 2015 Lecture : 4 minutes.

Ses dernières photos la montrent en train d’enfourner du pain au boulgour dans un village du Kurdistan irakien. Plutôt à l’aise, Gill Rosenberg pose tout sourire devant des sacs de farine Besler fraîchement livrés par l’ONU. Avec son gilet à capuche bleu ciel et sa casquette de base-ball vissée à l’envers, elle a davantage des allures de garçon manqué que de future combattante peshmerga. Depuis trois mois, le monde suit pourtant avec intérêt les aventures de cette jeune femme de 31 ans, comme s’il s’était trouvé une nouvelle super-héroïne.

En pleine bataille de Kobané, ville syrienne alors assiégée par les jihadistes, Gill Rosenberg (de son vrai nom Gillian) avait attiré l’oeil des médias en annonçant sur Facebook qu’elle se joignait aux forces kurdes pour repousser l’État islamique (EI). Originaire de Vancouver, au Canada, Gill est présentée comme la première femme étrangère à rallier les peshmergas.

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Partie de Tel-Aviv le 2 novembre 2014, elle a fait escale à Amman avant de rejoindre par avion Erbil, capitale de la province autonome du Kurdistan irakien, en à peine trois heures de vol. "Les Kurdes sont nos frères. Ils sont de bonnes personnes. Ils aiment la vie, beaucoup sont comme nous, vraiment", raconte-t-elle sur les ondes de la radio israélienne.

On y apprend qu’elle a contacté par le biais d’internet le groupe des Unités de protection du peuple (YPG), branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD) dans le Kurdistan syrien – dont 40 % des effectifs seraient composés de femmes -, et qu’elle a même suivi un premier entraînement. "Il faut ne pas être normale pour se rendre dans un tel endroit. On peut lui trouver un certain courage, mais elle est aussi un peu folle", déclare le journaliste israélien Eran Sikural, qui a eu le privilège d’arracher à Gill une dernière interview.

Cri de guerre

Depuis, la jeune femme se fait plus discrète, mais de très nombreux messages sont postés sur sa page Facebook pour la féliciter de son engagement, louer son courage et demander comment procéder pour rejoindre les rangs des combattants kurdes. Le 9 novembre dernier, elle écrit à ses fans : "Dans l’armée israélienne, nous disons "Aharaï", après moi ! Montrons à l’État islamique ce que cela signifie."

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Un cri de guerre assurément appris et répété à souhait lors de son passage au sein de Tsahal de 2006 à 2008, où elle s’était déjà portée une première fois volontaire, quelques mois après avoir choisi d’immigrer en Terre promise. Gill Rosenberg sert comme instructrice dans l’unité 669 de l’armée de l’air, spécialisée dans les opérations de recherche et de sauvetage. Sauf que ses faits d’armes se limitent à quelques selfies postés sur Facebook en uniforme, fusil M16 en bandoulière ou au poing, et souvent hilare aux côtés de ses compagnons d’unité.

Une aventurière

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Son profil atypique, doublé d’un activisme presque narcissique sur la Toile, a forcément attiré l’attention des groupes jihadistes en Syrie. Le 30 novembre 2014, un site proche de l’EI, appelé Samoach al-Islam, prétend que l’ancienne soldate israélienne aurait été capturée près de Kobané après une série d’attaques-suicides menées contre des positions kurdes. Mais le lendemain, Gill Rosenberg rassure ses admirateurs : "Les amis, je vais bien et je suis totalement en sécurité. N’écoutez pas les rumeurs à mon sujet !" Son démenti est confirmé par un chef kurde, qui assure que l’apprentie peshmerga n’a jamais été envoyée sur le front.

Depuis cette affaire, l’intéressée a coupé toute communication avec la presse. "Désolée, vous devez passer par la chaîne de commandement des YPG", répond-elle à chaque sollicitation. Les autorités israéliennes, qui entretiennent une coopération militaire et économique avec le Kurdistan irakien, disent être au courant de ses mouvements, sans préciser si des efforts ont été entrepris pour la rapatrier. Au Canada, le gouvernement a simplement rappelé qu’il n’avait pratiquement aucun moyen de porter assistance à ses ressortissants en Irak. "Nous n’empêcherons pas un citoyen de s’engager dans une bataille pour la liberté et d’aider les victimes de crimes barbares", précise cependant Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique.

Difficile de juger le sérieux de Gill Rosenberg ou quelle sorte d’idéalisme nourrit son engagement. Une paumée ? Ses proches la décrivent plutôt comme une aventurière, "ballottée d’un endroit à l’autre depuis son plus jeune âge". Dans la ferme familiale, où ses parents détenaient un petit avion, elle aurait appris très tôt à voler. Vers 20 ans, Rosenberg décroche une licence de pilote qu’elle obtient dans une compagnie privée.

Mais la jeune bourgeoise se rêve en "top gun" : "Au début, Gill voulait rejoindre l’US Air Force, mais elle s’est repliée sur l’armée de l’air israélienne elle pensait bénéficier de la meilleure formation qui soit", confie l’une de ses connaissances à Tel-Aviv. Mais ses plans ne se déroulent pas comme prévu. Une rupture avec ses parents entraîne son départ précipité vers Israël en 2006. Son alya (immigration) est alors loin d’être un conte de fées. En plus de renoncer à une prometteuse carrière de pilote, elle s’enrôle sous les drapeaux sans même demander à passer par l’école d’officiers. À sa sortie, elle connaît une seconde déconvenue en échouant aux examens d’entrée du Mossad.

Trois ans de prison

En 2008, Gill Rosenberg est fauchée. Elle se retrouve impliquée dans une sombre affaire d’escroquerie internationale – vente d’une fausse loterie à des retraités américains. Son nom apparaît dans un document du FBI en compagnie de onze autres personnes accusées d’avoir détourné 25 millions de dollars. Extradée vers les États-Unis en 2009, elle y purge une peine de trois ans de prison avant d’être libérée grâce à un accord avec la justice israélienne. "C’est une fille à l’intelligence remarquable, belle et charismatique, note son avocate Yael Ben-Oved. Mais elle a toujours été excessive, je ne suis pas étonnée de la voir rejoindre les Kurdes."

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