Procès Habré : la justice des vaincus
Il y a seize ans et quatre mois, un certain Souleymane Guengueng, que personne ne connaissait encore, accompagné de six autres rescapés des geôles tchadiennes, déposait devant le tribunal de Dakar une plainte contre Hissène Habré pour actes de torture et de barbarie et crimes contre l’humanité.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 8 juin 2016 Lecture : 3 minutes.
Il se trouva un procureur de la République, Abdoulaye Gaye, et un juge d’instruction, Demba Kandji, suffisamment courageux pour y donner suite. L’affaire Habré – qui vient de connaître lundi 30 mai son épilogue (provisoire ?) avec la condamnation à perpétuité de l’ancien maître de N’Djamena – pouvait alors commencer.
D’atermoiements judiciaires en rebondissements politiques, Jeune Afrique a suivi au plus près ce dossier, auquel Béchir Ben Yahmed prédisait, en février 2000, « une immense résonance » et « des conséquences africaines et internationales de première grandeur ».
Hissène Habré nous fit un procès à Paris (qu’il perdit), et son avocat, Madické Niang, qui allait devenir ministre de la Justice sous Abdoulaye Wade, traita J.A. d’agent de Kadhafi et de la Françafrique pendant des mois. Avant de retrouver ses esprits, avant surtout que l’obstination des victimes, la mémoire, l’air du temps et les démons du passé finissent par rattraper l’ancien rebelle toubou mué en dictateur expéditif.
Exemplaires, efficaces (dix mois de procès, contre cinq ans pour Charles Taylor à La Haye), économiques (14 fois moins chères que la Cour pénale internationale – CPI), les chambres africaines extraordinaires de Dakar apparaissent désormais comme la panacée pour les maux dont souffre une CPI incapable, jusqu’ici, d’étendre de façon convaincante ses enquêtes à d’autres parties du monde. Des Africains peuvent donc, au nom de l’Afrique et en Afrique, juger d’autres Africains.
L’expérience est-elle pour autant reproductible ailleurs qu’au Sénégal ? C’est loin d’être sûr. Dans la mesure où cette juridiction ad hoc s’appuie sur le code de procédure pénale du pays hôte, deux conditions doivent être réunies : la volonté politique du pouvoir exécutif de la mettre en place (Abdoulaye Wade a tergiversé, Macky Sall l’a fait) et une justice indépendante dans le cadre d’un État de droit. Or, en dehors du Sénégal, rares sont les pays du continent à pouvoir abriter un tribunal à l’abri de toute pression.
L’Afrique du Sud ? La justice y est certes compétente et insubordonnée, mais de sérieux doutes pèsent sur la volonté des autorités d’organiser ce type de procès. Le Botswana, Maurice, le Cap-Vert ? Ces trois pays caracolent en tête de l’indice Mo Ibrahim catégorie État de droit, mais ils n’ont ni les moyens ni la visibilité symbolique qu’exige une justice exemplaire pour tout le continent.
Le chemin qui mène à une appropriation crédible par l’Afrique de ses propres dossiers judiciaires est encore long.
Avant Hissène Habré, une dizaine de chefs d’État déchus ont été jugés en Afrique par des Africains. Certains en leur présence (Bokassa, Moubarak, Moussa Traoré…), d’autres par contumace (Mengistu, Ben Ali, Ahidjo…), voire en cachette du public (Macias Nguema, Massamba-Debat…).
Des amorces de procédures ont été ouvertes à l’encontre de Dadis Camara, de Blaise Compaoré ou d’Amadou Toumani Touré, et des procès sont en cours, qui voient défiler à la barre des proches de chefs chassés du pouvoir : les fils Kadhafi en Libye, Simone Gbagbo en Côte d’Ivoire… Mais aucun n’a correspondu ni ne correspond aux normes d’une vraie réponse judiciaire, claire et équitable, prenant en compte à la fois les exigences des victimes et les droits de la défense.
Si, de l’avis général, les juges des chambres africaines extraordinaires ont, le 30 mai 2016, dit le droit en condamnant un étrange zombie muet de 73 ans au visage masqué à finir ses jours en prison, le chemin qui mène à une appropriation crédible par l’Afrique de ses propres dossiers judiciaires est encore long.
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