Immigration clandestine : les sortilèges de la Méditerranée
Le mois de mai s’est achevé sur un spectacle désormais rodé.
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 11 juin 2016 Lecture : 2 minutes.
Un spectacle qui, à force de se répéter chaque année, risque de perdre sa dimension tragique pour devenir – au mieux – un banal fait divers. La Méditerranée, cette passerelle entre l’Afrique et l’Europe, a encore, telle une Mami Wata, englouti les espoirs de centaines de désespérés en quête de lendemains lumineux sous d’autres cieux. Ils sont donc morts, pratiquement sous nos yeux incrédules.
La mer en colère a eu raison des rafiots de fortune, ces bateaux de pêche inadaptés à la navigation dans lesquels ils étaient entassés tels de la marchandise. Oui, c’était de la marchandise, expédiée par des criminels, des trafiquants sans états d’âme qui brassent des milliards de dollars sans être inquiétés. De profundis, donc.
En lybie, les malheureux migrants tombent entre les mains de bandits qui les retiennent en otage, les maltraitent jusqu’à ce que leurs familles paient une rançon
Les réseaux de recrutement des candidats au bonheur s’étendent du sud au nord du continent. Passage obligé : la Libye, où les malheureux migrants tombent entre les mains de bandits qui les retiennent en otage, les maltraitent jusqu’à ce que leurs familles paient une rançon. Parmi les trafiquants les plus connus, il y a un certain Oussama, un Libyen issu de groupes armés locaux. Ou encore l’Éthiopien Ermias Ghermay, qui, dit-on, a amassé plusieurs millions de dollars avant de disparaître dans la nature. Coût de la traversée pour ces damnés de la terre : entre 400 et 2 000 dollars. Gains estimés des trafiquants en 2015 : entre 5 et 6 milliards de dollars !
La question qui se pose est simple : pourquoi ces milliers d’Africains cherchent-ils à quitter le continent au péril de leur vie ? Ils sont rongés, il me semble, par un mal-vivre profond. Comment peut-on se sentir bien dans sa peau dans nos États déshumanisés, où le bonheur collectif n’est pas la priorité des gouvernants ? Dire que l’écrasante majorité des Africains vivote est un euphémisme.
Affirmer que, dans la plupart de nos pays, une fois le vernis démocratique enlevé, règne une atmosphère totalitaire qui aboutit à l’écrasement des droits les plus élémentaires n’est pas une hérésie. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas, dans ces conditions, cette farouche détermination des désenchantés à aller voir ailleurs quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte ?
Sans emploi, sans respect des libertés, comment convaincre les jeunes Africains de ne pas aller tenter leur chance ailleurs ?
Dans la vie quotidienne, je vois des jeunes gens désœuvrés qui se réunissent matin et soir pour parler, en aboyant tels des chiens enragés, des exploits de Lionel Messi et de Cristiano Ronaldo ! Beaucoup d’entre eux se voient briller un jour, à l’instar de leurs idoles, dans un club européen. Aller en Europe ? Ils guettent la moindre occasion.
D’autres jeunes, diplômés de l’université ou d’instituts supérieurs, viennent me dire qu’ils n’ont jamais reçu la moindre réponse à leurs demandes d’emploi adressées aux entreprises et aux administrations. Partout, la question suivante revient : « Qui vous a recommandé ? » Sans recommandation, pas d’emploi !
Par ailleurs, dans beaucoup de pays, certains investisseurs étrangers sont souvent découragés par des responsables politiques qui exigent des dessous-de-table avant d’agréer leur implantation. Beaucoup, dépités, repartent. Sans emploi, sans respect des libertés, comment convaincre les jeunes Africains de ne pas aller tenter leur chance ailleurs ?
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