Après Habré, Mengistu !
Personne ne sait comment le petit homme racorni de 79 ans a appris, le 30 mai, la condamnation à vie de son ex-confrère en dictature Hissène Habré.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 6 juin 2016 Lecture : 3 minutes.
Devant sa télévision, assis dans un fauteuil de sa résidence du quartier chic de Gunhill, à Harare, Zimbabwe ? Chuchotée à son oreille par sa fidèle épouse et complice de toujours, Wubanchi ? Lors de l’un de ses entretiens réguliers avec son hôte et protecteur depuis un quart de siècle, Robert Mugabe, 92 ans ?
Une chose est sûre : le dernier des satrapes criminels du continent à ne jamais avoir payé le prix du sang qu’il a fait couler – et à côté duquel Habré apparaît comme un simple apprenti – peut encore dormir tranquille. Les médias et les ONG ne s’y intéressent guère, plus personne n’exige son extradition, et l’Union africaine (UA) a préféré l’oublier. Escompter que le camarade Mugabe autorise chez lui l’équivalent des chambres africaines extraordinaires de Dakar serait une perte de temps.
Robert Mugabe lui assure deux villas à Harare, six véhicules, la jouissance de deux fermes, des émoluments et une étroite protection vingt-quatre heures sur vingt-quatre
Né un 21 mai (1937), Mengistu Haïlé Mariam a chuté du pouvoir un autre 21 mai (1991). Cela fait donc vingt-cinq ans que l’ancien Négus rouge a fui au Zimbabwe, avec sa famille et l’aide de la CIA, qui, comme a fini par le reconnaître le département d’État, lui a trouvé un pays d’asile en échange de sa promesse de ne plus revenir.
Robert Mugabe, dont il avait soutenu la lutte de libération, lui a octroyé deux villas à Harare, six véhicules, la jouissance de deux fermes, des émoluments et une étroite protection vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Aussi discret qu’un ex-dignitaire nazi en cavale, ce condamné à mort par contumace a tout de même fait paraître il y a quatre ans des Mémoires, Tiglatchin (« notre lutte », en amharique), dans lesquels il ne renie rien, ne regrette rien et n’assume presque rien de ses forfaits passés.
Donné pour mort à deux ou trois reprises sur les réseaux sociaux, Mengistu a échappé à une tentative d’assassinat par un commando d’Érythréens, pris discrètement contact avec les ambassades de Chine et de Corée du Nord au début des années 2000 quand les coups de boutoir de l’opposition ébranlaient le trône de son protecteur, tout en faisant bénéficier ce dernier de ses conseils en matière de sécurité expéditive. La désastreuse opération Murambatsvina, déplacement forcé de près de 1 million de Zimbabwéens des bidonvilles de Harare et de Bulawayo en 2005, lui doit ainsi beaucoup.
Pour ceux dont la mémoire flanche, rappelons le tableau de chasse de celui qui régna sur l’Éthiopie pendant près de dix-sept ans. De l’assassinat, en 1975, de l’empereur Haïlé Sélassié (étranglé ? étouffé avec un oreiller imbibé d’éther ?) à l’exécution, en 1989, des dix plus hauts gradés de l’armée, en passant par la liquidation du patriarche de l’Église orthodoxe, une longue litanie de purges, une orgie de meurtres.
Entre cent mille et un demi-million de morts, nul ne s’accorde sur le nombre exact de victimes
Le fils de soldat des basses terres oromos haïssait les aristocrates des hauts plateaux abyssins : ils furent donc les premiers à disparaître. Puis vint le tour des propriétaires terriens, des officiers impériaux, des intellectuels, des étudiants, des résistants érythréens et tigréens, des paysans rétifs à la villagisation, dont la déportation se solda par une terrible famine, des militaires défaits sur le front de la guerre de l’Ogaden qu’il fit exécuter par centaines à la baïonnette.
« Terreur rouge » contre « terreur blanche », cinq mille assassinats en une seule semaine de 1978 dans les rues d’Addis-Abeba, des cadavres d’adolescents jetés aux hyènes faute pour leurs parents d’avoir pu payer une taxe – le prix de la balle qui les avait tués – pour récupérer le corps, tant de morts que nul ne s’accorde sur leur nombre, entre cent mille et un demi-million. « Pour un révolutionnaire martyr, mille contre-révolutionnaires abattus ! » aboyait Mengistu, le poing levé devant la foule en transe des Kebele, les miliciens du régime. Avant d’écraser de ses rangers des bouteilles remplies d’un liquide rouge sang.
Aussi scandaleux que cela puisse paraître, l’impunité dont bénéficie le paisible retraité de Harare ne fait presque pas débat. Même si sa tranquillité ne tient sans doute qu’à la survie de celui qui lui a accordé asile – c’est-à-dire à un fil -, il serait temps de qualifier les crimes qu’il a commis ou fait commettre de l’adjectif qui convient : imprescriptibles. Et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.
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