Ce jour-là : il y a 25 ans, Mengistu était exfiltré d’Éthiopie

Le 21 mai 1991, Mengistu Haïle Mariam, dirigeant autoritaire d’une Éthiopie exsangue, prend l’avion en direction du Kenya. Voilà quatorze ans qu’il impose un régime sanglant à ses compatriotes. Ses collaborateurs ont décidé d’en finir.

Mengistu Haile Mariam. © ARIS SARIS/AP/SIPA

Mengistu Haile Mariam. © ARIS SARIS/AP/SIPA

Publié le 9 juin 2016 Lecture : 4 minutes.

La « nouvelle fleur » (Addis-Abeba en amharique) assiégée n’est pas encore tombée aux mains des rebelles. Mais déjà le « Négus Rouge » est exfiltré par ses collaborateurs en direction de Nairobi, où ces derniers lui font croire à une rencontre avec des chefs rebelles.

En réalité, l’avion transportant Mengistu Haïlé Mariam ne fait que se poser dans la capitale kényane pour repartir directement vers Harare, au Zimbabwe. L’homme qui fut à la tête du régime ayant mis fin, quatorze ans plus tôt, à l’hégémonie d’une dynastie salomonide vieille de sept siècles, ne remettra plus jamais les pieds en Éthiopie.

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L’exfiltration de Mengistu par ses propres conseillers paraît invraisemblable tant l’homme a dirigé le pays d’une main de fer pendant dix-sept années. Et pourtant, durant son règne, le Négus rouge n’aura eu de cesse d’affronter les rebellions indépendantistes et de se voiler la face quant aux désastreuses famines orchestrées par son régime. La fuite de Mengistu n’est que le produit de mouvements révolutionnaires qui ont provoqué sans relâche et mis en déroute la toute puissance du Négus rouge. Retour sur une terrible période.

D’Haïlé Sélassié 1er à Mengistu Haïle Mariam

La figure du Négus rouge n’apparaît que tardivement après le coup d’État qui renverse l’empereur Haïlé Sélassié le 12 septembre 1974. Le Derg (acronyme de comité militaire,en langue amharique), junte à la composition obscure, s’inscrit dans le fond de l’air de l’époque : une rhétorique marxiste-léniniste. Et la monopolisation de l’espace politique par les putschistes se fait au détriment de plusieurs organisations de gauches radicales (dont le Parti révolutionnaire du peuple éthiopien, par exemple), qui, elles, se revendiquent plus du trotskisme ou du maoïsme. L’officier Mengistu Haïle Mariam se hisse donc à la tête du Derg à la faveur d’un putsch interne le 3 février 1977 après avoir méthodiquement purgé ses acolytes.

De la Terreur rouge à une perestroïka à l’éthiopienne

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L’image du lieutenant colonel Mengistu qui, le 14 avril 1977, lors d’un discours enflammé sur la place de la Révolution (aujourd’hui Meskel Square) à Addis-Abeba, jure d’éliminer tous les anarcho-fascistes, en brisant des bouteilles de verre remplies d’un liquide s’apparentant à du sang, résume parfaitement l’exercice du pouvoir par celui qu’on finira par appeler le Négus rouge.

Mais le régime de Mengistu fait rapidement face à de virulentes menaces tant intérieures – par le fait de rébellions communistes hétérodoxe, anarchistes ou encore indépendantistes – qu’extérieure avec l’invasion de la région de l’Ogaden par la Somalie du régime de Siyad Barre en 1977-1978. Ces périls menaçant la stabilité de son pouvoir, Mengistu entame une féroce politique militaire et répressive, laquelle se couple de solides alliances avec l’URSS, les barbudos cubains et les service est-allemands. En dépit de la militarisation à outrance de la société éthiopienne, les mouvements rebelles du Tigray, de l’Oromo et de l’Érythrée alignent victoires sur victoires.

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A la fin des années 1980, dans une Éthiopie épuisée militairement et économiquement, le Négus rouge est lâché progressivement par son principal fournisseur et formateur militaire (l’URSS). Il adopte une realpolitik et se rapproche de ses nouveaux alliés, les États-Unis et Israël. Dix ans après sa prise de pouvoir à la tête du Derg, Mengistu annonce la dissolution du comité militaire et proclame la République démocratique populaire d’Éthiopie, le 10 septembre 1987.

Le 5 mars 1990, lors d’un discours retransmis et radiodiffusé de deux heures et demi, Mengistu liquide quinze ans de socialisme et décrète l’ouverture du pays à une économie mixte. La nuit même, on recouvre tous les slogans révolutionnaires, on brûle les drapeaux rouges et on arrache les affiches des « trois barbus » (Marx, Engels et Lénine).

La retraite dorée du Négus rouge

La déliquescence du régime de Mengistu est en marche. En 1991, l’armée de libération du Tigray n’est qu’à une centaine de kilomètres d’Addis-Abeba. L’exfiltration de Mengistu est l’élément déclencheur qui permet aux forces rebelles menées par Meles Zenawi d’entrer, le 28 mai 1991, dans la capitale sans rencontrer de résistance.

La chute du Négus rouge ouvre une nouvelle phase pour le pays. La province érythréenne accède en 1993 à l’indépendance tant convoitée et l’Éthiopie dirigée par Meles Zenawi s’engage dans une période de développement économique intense.

En 2006, à l’issue d’un procès fleuve de douze années, Mengistu est condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité pour génocide lors de la « Terreur rouge ». Cette peine sera commuée en appel à la peine de mort en 2008. Contrairement à la fin scabreuse du Négus Haïlé Sélassié, probablement mort étouffé sous un coussin imbibé d’éther, le Négus rouge profite toujours allègrement de son train de vie fastueux au Zimbabwe aux cotés de son ami et hôte Robert Mugabe.

Retrouvez ci-dessous les quatre pages de l’article paru dans Jeune Afrique n°1588 du 5 au 11 juin 1991.
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