Mauritanie : Aziz n’est pas Charlie
Depuis son accession au pouvoir, en 2009, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz ne manque pas une occasion de se poser en défenseur zélé de l’islam. Non sans arrière-pensées politiques.
Lorsqu’il a accueilli, le 16 janvier, devant les grilles du palais présidentiel, les milliers de Mauritaniens qui manifestaient contre les dernières caricatures de Charlie Hebdo, Mohamed Ould Abdelaziz a donné le ton. "Je ne suis ni Charlie ni Coulibaly. Je suis musulman, nous sommes tous musulmans", a lancé le chef de l’État à la foule, avant de condamner "ce qui est de nature à créer le terrorisme, à l’image de ces viles caricatures qui portent atteinte à notre religion et à toutes les religions".
Les protestataires répondaient à l’appel des imams et des oulémas, qui avaient invité les fidèles en colère à défiler dans les rues. Fait rare en Mauritanie : la marche – non autorisée – n’a pas été dispersée. "C’est la politique du deux poids, deux mesures, déplore Ibrahima Diallo, porte-parole des Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam). D’un côté, on laisse faire, tandis que de l’autre, on jette les manifestants antiesclavagistes en prison."
Depuis son accession au pouvoir, en juillet 2009, "Aziz" ne rate pas une occasion de se poser en défenseur zélé de l’islam. Il a toujours publiquement et fermement fustigé tout acte perçu comme une atteinte à la religion. En avril 2012, après l’arrestation pour atteinte à la sûreté de l’État de Biram Ould Dah Ould Abeid, lequel avait assisté à l’autodafé d’ouvrages religieux, il avait assuré que la charia serait appliquée avec la plus grande sévérité. Après plus de quatre mois de détention préventive, le président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA-Mauritanie) avait finalement été libéré pour raisons de santé. Il réussira même à se présenter à la présidentielle de juin 2014, où il est arrivé deuxième avec 8,67 % des voix. Mais la période de grâce aura été de courte durée.
Sentence inédite en Mauritanie
En novembre 2014, retour à la case prison pour Biram et ses compagnons, arrêtés à Rosso (Sud) pour avoir mené une campagne de sensibilisation contre l’"esclavage foncier". Le 15 janvier dernier, il a été condamné avec deux autres militants à deux ans de prison pour "rébellion non armée" et "non respect de la force publique", soit le maximum de la peine prévue par le code pénal.
Pendant ce temps, à l’autre bout du pays, à Nouadhibou (Nord), un jeune homme âgé d’une trentaine d’années croupit lui aussi en prison. Malgré son repentir, Mohamed Cheikh Ould Mohamed (dit Ould Mkheitir) a été condamné à mort le 24 décembre 2014 pour apostasie en raison d’un texte jugé blasphématoire à l’égard du Prophète qu’il a mis en ligne sur internet. Bien qu’elle soit prévue par le code pénal, qui compte un volet relatif aux peines islamiques, cette sentence est inédite en Mauritanie.
Là encore, au lendemain de l’arrestation d’Ould Mkheitir en janvier 2014, Aziz avait promis à la population de "prendre toutes les mesures pour défendre l’islam et son prophète", martelant que l’islam est "au-dessus de tout, de la démocratie et de la liberté". À Nouakchott et à Nouadhibou, de nombreux Mauritaniens avaient battu le pavé et un homme d’affaires était allé jusqu’à mettre à prix la tête du condamné. Même les avocats du malheureux avaient hésité à le défendre. Pour avoir exigé la tenue d’un procès équitable, la militante des droits de l’homme Aminetou Mint el-Moctar s’était vue frappée d’une fatwa émise par un islamiste mauritanien. Et n’avait pu porter plainte.
Instrumentalisation de la colère des populations
Nombre de voix dans le milieu associatif s’étaient alors élevées pour dénoncer la montée du radicalisme religieux, relayé, selon elles, par le pouvoir. Depuis plusieurs années, certains imams tiennent impunément dans les mosquées un discours extrémiste favorable à Al-Qaïda ou à Daesh. "Les islamistes de Tawassoul ne sont pas étrangers à tout cela, glisse un observateur de la scène politique. Ce sont eux qui recrutent ces imams, qui instrumentalisent la colère des populations. En laissant faire, Mohamed Ould Abdelaziz cherche à récupérer une partie de leur électorat." Et pour cause : Tawassoul constitue aujourd’hui la principale force d’opposition en Mauritanie.
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