Tunisie : qui pour succéder à Habib Essid ?
Habib Essid, le chef du gouvernement tunisien, est toujours à son poste. Il n’entend pas démissionner, du moins pas pour le moment, et il continue à vaquer à ses occupations, imperturbablement. Il donne le change, mais son sort semble scellé.
Désavoué implicitement par le président Béji Caïd Essebsi, qui a appelé, le 2 juin, à la formation d’un gouvernement d’union nationale, son bail à la Kasbah expirera prochainement. Ces 48 dernières heures, il a été lâché successivement par Ennahdha et Nidaa Tounes. Le parti islamiste a mis les formes, en disant qu’il ne s’opposerait pas à la nomination d’un remplaçant, si le consensus l’exigeait.
Le comité politique de Nidaa Tounes, présidé par le directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebsi (le fils du chef de l’État), s’est montré plus brutal, en se prononçant pour un départ immédiat du locataire de la Kasbah. Ce n’est pas une surprise. Nidaa Tounes n’a jamais vraiment digéré la nomination d’Essid, technocrate indépendant et apolitique, à la Primature. Militants et cadres du parti estimaient que le poste aurait dû revenir à un des leurs.
Le choix d’Essid avait été inspiré au président par Ridha Belhaj, qui était à l’époque son tout-puissant directeur de cabinet. Mais entre-temps, Belhaj est tombé en disgrâce à Carthage, et s’est brouillé à mort avec « HCE ». Essid paie donc, logiquement, les pots cassés. Alors, qui pour le remplacer ? Pour l’instant, aucun candidat « évident » ne se dégage. Et l’opacité du processus de désignation autorise toutes les spéculations. Le futur chef de gouvernement devra être adoubé à la fois par le président, par Ennahdha, Nidaa Tounes et ne pas heurter les partenaires sociaux (l’UGTT et l’UTICA). Joli casse-tête en perspective. Voici cependant une liste (non exhaustive) de prétendants possibles…
Ahmed Néjib Chebbi, seul candidat déclaré
À un de ses amis, qui lui rendait visite récemment, le président Béji Caïd Essebsi a confié son désarroi : « La classe politique tunisienne n’est pas encore mûre. Elle est incapable de sécréter des gouvernants ». Difficile de lui donner tort. Ennahdha, qui préfère voir venir, ne présentera pas de candidat issu de ses rangs. Le seul candidat déclaré est un revenant : Ahmed Néjib Chebbi, 72 ans. Figure de l’opposition démocratique sous le régime de Ben Ali, il a l’envergure et l’épaisseur pour se muer en homme d’État. Il sait trancher, et l’impopularité ne lui fait pas peur (il l’a montré lors de son bref passage au sein du gouvernement provisoire de Mohamed Ghannouchi, formé au lendemain de la Révolution, en janvier / mars 2011). Mais son échec à la présidentielle de 2014 et la quasi-disparition de son parti, El Joumhouri (un seul député dans la nouvelle assemblée) ne plaident pas en sa faveur. Et, avec Béji Caïd Essebssi, ses rapports ont toujours été compliqués.
Les membres de l’équipe actuelle : Slim Chaker, en embuscade ?
Nidaa Tounes, qui souhaite récupérer la présidence du gouvernement, pourrait appuyer les candidatures de certains de ses ministres. Le ministre des Finances, Slim Chaker, 55 ans, est un des noms qui revient les plus fréquemment. Il compte parmi les membres fondateurs du parti, mais c’est un ténor très discret, desservi par son manque de charisme. Et son bilan est mitigé.
Youssef Chahed, 41 ans, ministre des Affaires locales depuis janvier 2016 (il était auparavant secrétaire d’État à la Pêche) est une des étoiles montantes. Sa proximité avec la famille Caïd Essebsi ne compense pas son manque d’expérience, et rien ne dit qu’il sera outillé pour mener de périlleuses négociations sociales.
Le nom de Sélim Azzabi, 38 ans, directeur du cabinet présidentiel (il a remplacé Ridha Belhaj en janvier 2016) a fuité dans la presse. Un ballon d’essai ? Lui aussi est un talent sûr, mais il est indispensable à Béji Caïd Essebssi, il manque encore de relais dans l’administration et d’expérience à ce niveau. Rien ne dit, d’ailleurs, qu’il serait tenté par le poste aujourd’hui.
Enfin, Yassine Brahim, 50 ans, ministre du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale, s’y verrait bien. Mais ni le poids de son parti Afek (une des quatre formations de la coalition gouvernementale, avec 8 députés), ni le rendement de ses ministres ne justifierait une telle promotion. Et le président Béji Caïd Essebsi, qui connaît sa tendance à jouer parfois un peu trop « perso », ne l’apprécie qu’à moitié.
Jomaâ, Nabli, Larbi : les technocrates en réserve de la République
Mehdi Jomaâ, l’ancien Premier ministre désigné par le Quartet (décembre 2013 – décembre 2014) est, en théorie, celui dont le profil semble le plus adapté. Mais, à 53 ans, le natif de Mahdia sait qu’il n’est pas dans les petits papiers de Nidaa, et lui-même a sans doute d’autres ambitions (la présidentielle de 2019).
Mustapha Kamel Nabli, l’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (68 ans), dont le sérieux et la compétence, sur les dossiers économiques, sont reconnus, est une option possible. Souvent placé, jamais gagnant, il figurait déjà, en 2013, parmi les « Premier-ministrables possibles », lorsque Mehdi Jomaâ avait raflé la mise. Les réserves d’Ennahdha à son égard pourraient le disqualifier.
Hédi Larbi (66 ans), ministre de l’Équipement du gouvernement Mehdi Jomaâ, cet ancien expert de la Banque mondiale, très apprécié, figurait parmi les personnalités pressenties en décembre 2014, lorsque Habib Essid s’était imposé au finish. Cette année encore, son nom revient. Mais quels sont ses soutiens politiques réels ?
Un outsider issu de la société civile ?
Ce n’est pas l’option la plus probable, mais la nomination d’une personnalité nouvelle, au profil plutôt économique, un manager doté d’une vraie vision sur les changements à apporter à un modèle aujourd’hui en crise, pourrait constituer un électrochoc salutaire. Et déclencher un élan de sympathie comparable à celui qui avait entouré les 100 premiers jours de Mehdi Jomaâ, en 2014. Un nom revient avec insistance dans le cénacle des initiés, celui d’Habib Karaouli, 63 ans. Président de la Banque d’Affaires de Tunisie, il a conduit les grandes opérations de privatisation ces 15 dernières années, et connaît sur le bout des doigts les rouages de l’économie réelle – c’est son métier. Originaire de Gafsa, capitale du bassin minier frondeur, il serait peut-être capable d’aborder autrement le dossier empoisonné du phosphate.
Quant au Polytechnicien Radhi Meddeb, 63 ans, président du bureau d’études Comete Engineering, et administrateur de plusieurs grandes entreprises tunisiennes, il figurait déjà parmi les personnalités pressenties fin 2013.
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