Le renforcement des oppositions est l’enjeu majeur de la démocratie en Afrique

Du Tchad à la RDC, en passant par le Burundi ou l’Ouganda, nombreux sont les partis ou leaders d’opposition africains qui essayent de déloger les pouvoirs en place pour mettre en pratique l’alternance politique, symbole par excellence des systèmes démocratiques modernes.

Lors du vote des élections municipales à Ouagadougou, le 22 mai 2016. © Ahmed Ouobav / AFP

Lors du vote des élections municipales à Ouagadougou, le 22 mai 2016. © Ahmed Ouobav / AFP

IT © Kashetu KYENGE – 8th Parliamentary term
  • Cécile Kyenge

    Cécile Kyenge, originaire de RDC, est députée européenne et ancienne ministre italienne de l’Intégration. Elle a été chef de la mission d’observation de l’Union européenne pour les élections au Burkina Faso, en 2015, et membre observatrice de la délégation du Parlement européen pour la présidentielle de 2016 au Gabon.

Publié le 15 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

L’Afrique a choisi d’adopter ce système – tout du moins dans les Constitutions des pays qui composent ce continent -, avec des élus qui, tout au long de leur mandat, décident au nom du peuple. C’est par le prisme des partis politiques qu’ils sont choisis. Le multipartisme africain est un phénomène récent, qui remonte pour la plupart des pays africains après la chute du Mur de Berlin. Durant les années 90, l’Afrique a vu naître des partis de toute obédience. Certains d’entre eux ont été le fruit d’un courage admirable de la part de leurs fondateurs, mais d’autres semblent être plutôt des coquilles vides, lancées dans la marre par des professionnels de la politique ou des hommes d’affaires certes astucieux, mais dont le mode opératoire frise trop souvent la criminalité.

L’existence des partis écrans, ou des semblants de partis, dans bien de pays africains, a eu pour conséquence de cristalliser et donc de saboter les nobles fonctions démocratiques de l’opposition et bien sûr, de la majorité aussi. Ceci a limité de manière préjudiciable la possibilité d’alternance des partis dans ces rôles.

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Chaque fois que l’on se dirige vers les élections, les organisations politiques concourant à la formation de la majorité sortante veulent garder la main sur l’exercice du pouvoir. Rien d’anormal à cela. Cependant, en Afrique pas moins qu’ailleurs, il doit aussi être normal que les partis d’opposition cherchent sérieusement à accéder au pouvoir. C’est dans cette dialectique dure, sérieuse mais respectueuse, que l’arbitrage du peuple trouve son accomplissement.

Il est nécessaire de garantir aux oppositions la possibilité d’élaborer et de proposer, en toute autonomie et sérénité, leurs propres propositions politiques

Il me semble que l’un des plus importants handicaps de la démocratie dans les pays africains se situe au niveau des partis d’opposition, qui n’ont pas les moyens de jouer leur rôle. Il est donc nécessaire de garantir aux oppositions la possibilité d’élaborer et de proposer, en toute autonomie et sérénité, leurs propres propositions politiques, dans la plus pure tradition de l’adversité politique.

Les missions d’observation électorale auxquelles j’ai participé ces dernières années m’ont permis de prendre conscience des déséquilibres structurels qui en quelque sorte minent les démocraties africaines. Les majorités gouvernementales agressives ne laissent subsister que des oppositions de pure forme. Là où certains partis ont pu se défaire des carcans de la majorité, dont ils se sont par ailleurs séparés, il y a eu une réelle effervescence des oppositions, et le peuple a eu vraiment l’opportunité d’opter pour l’alternance.

En l’absence d’une possibilité réelle de contraster, de contester, de surveiller et de dénoncer, les membres des partis de la majorité se sont souvent livrés à des excès, car ils gouvernent sans contradiction, là où la contradiction est pourtant obligatoire. La faiblesse des oppositions entraîne inévitablement l’affaiblissement des institutions du pays, celles-ci étant constituées presque exclusivement par les gouvernants ou leurs proches.

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Ce rôle institutionnel, pour être bien joué, doit être occupé par des partis politiques solides en mesure d’accéder à la magistrature suprême. Pour ce faire, les partis politiques africains doivent résoudre une équation fondamentale, à double variable : où l’opposition peut-elle trouver les ressources financières et humaines pour crédibiliser son action et partager ses propositions ? Et comment mieux contrôler les ressources des partis au pouvoir ?

Le financement des partis politiques est au centre de la controverse même en Europe, et malgré les lois adoptées à ce sujet, la question est loin d’être résolue. Cependant, dans le contexte africain, la question est bien plus grave. Si les partis de la majorité semblent utiliser, hélas, les ressources financières, logistiques et humaines de l’État, les partis de l’opposition, dans bien des cas, ne semblent pas disposer de grand-chose, si ce ne sont les investissements personnels de leur leader-fondateur. L’Union européenne, dans le cadre de ses multiples financements vers les pays africains, devrait mener une réflexion prioritaire sur le soutien financier aux partis politiques afin qu’ils puissent assumer pleinement leur rôle d’acteurs principaux dans leurs démocraties.

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