Madame Habré, s’il vous plaît, taisez-vous !
Les déclarations de Raymonde Habré sont insultantes pour le Sénégal. Insultantes pour le système judiciaire sénégalais. Insultantes pour l’Afrique et de surcroît méprisantes pour les victimes.
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Nadji Gossadina
Nadji Gossadina est un consultant tchadien en communication, chef d’entreprise dans les NTIC à Libreville.
Publié le 16 juin 2016 Lecture : 4 minutes.
Par souci d’équité et pour pouvoir dégager une opinion libre, je me suis permis de suivre les interviews données par madame Raymonde Habré après le verdict des Chambres Africaines Extraordinaires. Éloquente, cultivée, on ne saurait douter que c’est un pur produit Habré. Un sentiment ambigu et ambivalent m’a saisi. Je suis allé jusqu’à développer une certaine sympathie non pas pour un défenseur de Hissène Habré, mais pour une femme qui va voir son homme prendre les portes de la prison à perpétuité. Tenace, elle veut son homme hors des méandres d’une prison, une prison à n’en point douter VIP, mais tout de même une prison. À cette idée, une compassion envers madame Habré relève plus de l’humanisme que de la justice.
Je me demande si madame Habré ne devrait pas être jugée pour complicité
Pourtant, à l’entendre développer sa thèse sur la justice, sur la partialité du jugement, et sur l’innocence probable de Hissène Habré, j’en viens à me poser un tas de questions et me demande si elle ne devrait pas être jugée pour complicité. Ses déclarations sont lourdes de sens. Insultantes pour le pays d’accueil. Insultantes pour le système judiciaire sénégalais. Insultantes pour l’Afrique et de surcroît méprisantes pour les victimes. Pour elle, rien des accusations portées contre le justiciable Habré n’est vrai. C’est simplement une partie de plaisir de voir autant d’intellectuels, de combattants des droits de l’Homme et de médias se réunir et déployer autant de moyens pour un ersatz de justice. Eh bien non Madame ! Non, ce procès revêt un caractère libératoire et historique.
Un procès à caractère libératoire car, de ce que vous avez perpétré, il fallait qu’on en parle pour que le monde sache enfin qui était le monstre à côté duquel vous dormez depuis des années. Et dites-nous que vous n’avez jamais rien su des exactions de cette période. Vous en avez partagé lucre et gloire. Et au moment du jugement, vous vous rendez compte subitement que la « justice » est sacrée et devrait répondre à un certain nombre de procédures et de textes. Diantre, ou étiez-vous durant ces années de plomb ? Simple amnésique qui revient implorer Dieu, sans commencer par se faire pardonner par les hommes. Et vous poussez loin le bouchon lorsque vous dites : « si on croit en Dieu, on ne peut pas faire une chose pareil. » Blasphème, de la bouche d’une personne qui a côtoyé le diable en personne, et qui en devient avocat. Allant jusqu’à nier le viol d’une femme, touchée dans sa dignité et de ce qu’il y a de plus sacré dans l’humanité.
Le procès de Habré symbolise la déchéance d’un puissant, qui avait décision de vie et de mort sur un peuple qu’il s’était juré de servir
Le procès de Habré est historique. Il symbolise la déchéance d’un puissant, qui avait décision de vie et de mort sur un peuple qu’il s’était juré de servir. Manquer à son serment devant Dieu est châtiable. A travers la réussite de ce procès, c’est un message à tous les croyants que le Bon Dieu a envoyé. A savoir que la justice Lui incombe et que les victimes doivent continuer à croire que le jour de réparation viendra, tôt ou tard. Dommage que beaucoup de victimes ne soient plus de ce monde pour voir la prophétie se réaliser. Le procès de Dakar est un paragraphe important qui à jamais sera accolé à la biographie de Monsieur Habré. A savoir que c’est un criminel, un assassin, un violeur… Qu’il a été traqué, attrapé, jugé et condamné. Aux oubliettes les fastes et autres odes à la gloire du pseudo vaillant lion du désert, du patriote ayant repoussé l’invasion libyenne (encore qu’on sait maintenant qui était le véritable artisan de ces victoires). Signe de notre époque, la mise à jour de Wikipedia précise déjà les crimes qui lui sont imputés.
Comme votre mari durant tout le procès, aucune compassion pour les victimes ne transparaît dans vos interviews
Vous avez manqué une occasion de vous taire madame. Votre silence aurait été bénéfique pour la suite. Comme votre mari durant tout le procès, aucune compassion pour les victimes ne transparaît dans vos interviews. La suite de l’histoire vous fournira plus de possibilité d’expression. Vous aurez la possibilité de vous exprimer plus librement sur les acquis matériels de Habré dont vous jouissez actuellement. La prochaine étape sera la saisie des biens de votre cher époux afin de contribuer au dédommagement des victimes. A cette occasion, vous serez priée de sortir votre artillerie judiciaire pour justifier de l’usus fait des biens résultant de vols et de détournements. Le silence vous aurait sans doute évité cet épisode, car la culture tchadienne sait épargner les femmes des délits commis par leur époux. Votre cas, hélas, est différent. Vos invectives vous privent d’une possible pitié. Vous allez devoir déménager, et devenir « femme de prisonnier ». Une expression que beaucoup de nos sœurs et mères ont honteusement porté durant votre règne.
Madame, je suis tenté de résumer votre cécité par ce que Monsieur Sidiki Kaba a qualifié de « (…) bonne épouse qui défend bien son mari ». Mais de grâce, ne continuez pas à heurter ceux de vos sœurs et frères qui ne verront plus jamais leurs conjoints. Ceux qui pendant plus de 25 ans ont parcouru le monde pour clamer justice. Ceux qui n’ont pas pu bénéficier de la moindre once de justice du temps de votre règne. Finalement, Madame, faites comme votre mari durant le procès. S’il vous plaît, taisez-vous !
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