La start-up africaine de la semaine : Evey ou le sondage en temps réel

La start-up tunisienne Evey proposera en septembre un outil de sondage avec analyse de données en temps réel. De quoi bouleverser la relation entre décideurs et opinion publique.

Un policier jette un coup d’œil à l’intérieur d’un bureau de vote en Gambie en 2001. © CHRISTINE NESBITT/AP/SIPA

Un policier jette un coup d’œil à l’intérieur d’un bureau de vote en Gambie en 2001. © CHRISTINE NESBITT/AP/SIPA

MATHIEU-GALTIER_2024

Publié le 16 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Choix d’un homme politique, performance d’un sportif ou encore critique d’un film. Tout le monde a un avis sur tout et, avec l’explosion des réseaux sociaux, les internautes n’hésitent pas à le faire savoir. La plateforme Evey propose de mettre de l’ordre en mettant à disposition des utilisateurs une application de sondage avec analyse de données en temps réel.

« Il y a deux ans, je regardais une émission politique à la télévision, se rappelle Noomen Lahimer, cofondateur de la start-up Evey. Alors que le public réagissait négativement au propos de l’invité, ce dernier a répliqué : “Le public n’est pas neutre”. Là, je me suis dit que ce serait bien d’avoir un outil qui mesurerait et analyserait immédiatement ce que pense le public. »

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En septembre, l’idée deviendra réalité. Elle prendra la forme d’un site web et d’une application mobile. Le slogan de Evey est « Engager, Comprendre, Décider » : « Nous voulons engager le public à être un acteur, nous voulons comprendre ce public pour que nos clients puissent décider au mieux », précise le Tunsien de 37 ans, directeur du Laboratoire d’innovation à la South Mediterranean University de Tunis.

Se faire une place entre les Instituts très coûteux et les sondages Facebook

Allier résultat en temps réel et analyse des données, voilà l’innovation majeure d’Evey. Beaucoup de sites, comme le mastodonte Facebook, proposent des sondages, mais seul le résultat brut est visible instantanément. Les instituts de sondage proposent des analyses très affinées mais elles coûtent chères et nécessitent du temps.

Evey combine les deux en permettant de connaître immédiatement le résultat à la question posée mais également le sexe, la catégorie socioprofessionnelle ou la géolocalisation des répondants.

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L’idée, en apparence simple, a débouché sur le premier prix de la meilleure start-up tunisienne en mai 2016, décerné par l’institut suisse de promotion des start-up sur les marchés émergents Seedstarsworld.

Deux responsables, deux continents, deux fois plus de problèmes ?

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Deux ans en arrière, Noomen Lahimer, diplômé de l’Institut des hautes études commerciales de Carthage (IHEC) et de l’université Paris-Dauphine, constate que le marché mondial des sondages représente un revenu annuel de 2,7 milliards de dollars, et qu’il croît de +10,7% par an.

Il s’inscrit alors au programme tunisien du Founder Institute, un incubateur de start-up. C’est là qu’il rencontre Maher Hanafi. De mentor, l’ingénieur en télécommunication de 32 ans devient le cofondateur d’Evey.

S’ensuit deux années de labeur dans l’ombre de leur travail. Noomen Lahimer affine le business plan à Tunis tandis que Maher Hanafi, Tunisien basé à San Francisco où il dirige une société de développement d’applications mobiles, Diginium Graphics, planche sur le programme informatique.

Atteindre rapidement une masse critique d’usagers pour être crédible

Noomen Lahimer enfile sa casquette de professeur d’économie : « Ce qu’il faut éviter c’est que les deux fondateurs aient une relation personnelle forte comme membres d’une même famille ou deux amis. Ce n’est pas le cas ici. On s’est rencontré dans le cadre d’un projet professionnel précis et chacun a un rôle défini. »

Le directeur général se réjouit même que son compère, diplômé de Sup’Com de Tunis et passé par les géants des jeux vidéos EA Sports et Ubisoft, possède Diginium Graphics qui à vocation à devenir le sous-traitant de Evey.

Car, pour que l’outil soit viable, il lui faut pouvoir intégrer une communauté d’utilisateurs la plus large possible. Plus les utilisateurs seront nombreux, plus l’échantillon des sondages sera grand, plus les résultats seront pertinents. Surtout qu’Evey a été conçu sur le modèle de l’effet d’apprentissage : les outils d’analyse sont automatisés et leur performance s’accroît à mesure du nombre d’utilisateurs et des données qu’ils fournissent.

Un plan de développement international en ligne de mire

« Même si nous allons débuter petit, nous avons déjà en tête un plan de développement mondial », assure Noomen Lahimer. Ainsi, le service se déclinera en une version gratuite qui permettra de créer son sondage et d’obtenir les données de base comme l’âge et le sexe des sondés, tandis qu’une version payante proposera l’ensemble des données disponibles.

Il estime les besoins financiers entre 250 000 et 300 000 dollars pour assurer le webmarketing, payer les serveurs et salarier les employés à venir (commerciaux et webdesigners). La société démarche actuellement des « business angels » pour le financement.

« La version bêta du site devra être efficace s’ils veulent survivre, estime Mohamed Ikbel Elloumi, fondateur de la société de sondage Elka Consulting. Leur idée est réellement innovante mais pour que leurs sondages soit crédibles, il faut que leur communauté soit représentative et large. »

Avant la politique, se rôder avec des communautés restreintes

Les créateurs d’Evey en sont conscients. C’est pour cela que, dans en premier temps, ils visent un marché de niche : celui des conférences, des entreprises et des universités. Là où la communauté est fermée et est déjà connue en partie.

Un DRH veut savoir ce que pensent les employés d’un nouvel aménagement horaire ? Evey lui permettrait d’avoir le résultat en direct, par poste de métier et par ancienneté.

Noomen Lahimer a déjà pris langue avec des entreprises, des écoles et même des partis politiques. C’est dans ce dernier domaine qu’Evey pourrait exploiter à plein son potentiel : « Pendant une campagne électorale, un candidat serait demandeur d’un outil qui permettrait de juger instantanément de la popularité d’une mesure, d’un slogan », assure Mohamed Ikbel Elloumi.

Seulement, l’analyse d’intention de vote nécessite, outre l’aspect purement statistique, un savoir-faire spécifique sur la correction des résultats bruts. Ces derniers peuvent être faussés par les sondés qui refusent de dire ouvertement qu’ils votent pour tel ou tel candidat jugé extrémiste par l’opinion public.

L’élaboration de cette « recette statistique » demanderait la création d’algorithmes élaborés et de mains d’œuvre qualifiée, ce dont ne dispose pas Evey. L’entreprise compte aujourd’hui deux salariés, les fondateurs eux-mêmes. Le secteur prometteur est donc laissé à plus tard quand la société sera sur les rails.

Erreurs sur les sources de données et anonymat des sondés

Autre point noir, les plateformes web et mobile peuvent faciliter les erreurs. Un vote est émis depuis un téléphone du père de famille, Evey l’enregistre comme tel. Mais comment être sûr que ce n’est pas son fils qui a répondu ? Le risque existe mais Noomen Lahimer en appelle à la statistique et notamment la « loi normale » qui veut que le résultat réel se situe autour de la moyenne et que les aberrations ne correspondent qu’à une minorité extrême qui peut être négligée.

C’est aussi pour cela que les concepteurs d’Evey veulent se concentrer au départ sur des marchés où la communauté cible est connue et donc le risque d’erreur minime. Les responsables d’Evey assurent que les utilisateurs pourront voter en tout anonymat s’ils le désirent et s’engagent à ce que les données fournies ne soient pas vendues.

Pour faire connaître Evey, Noomen Lahimer promet un lancement de grande envergure qui prendrait la forme d’un partenariat dans un événement public important. Festival ? Émission de télévision ? Le dirigeant refuse d’en dire plus pour le moment.

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