Carte : le delta du Niger, région hautement inflammable

Depuis le début de l’année, les attaques contre les infrastructures pétrolières se sont multipliées dans le delta du Niger, dans le sud-est du Nigeria. Symptôme du regain de tension, l’émergence des Vengeurs du delta du Niger, un nouveau groupe rebelle, inquiète les autorités.

Plate-forme de stockage offshore de la compagnie Shell au large du Nigeria, au sud-est du pays, le 26 décembre 2011. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Plate-forme de stockage offshore de la compagnie Shell au large du Nigeria, au sud-est du pays, le 26 décembre 2011. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Publié le 5 août 2016 Lecture : 4 minutes.

Plus d’une dizaine d’attaques revendiquées par les Vengeurs du delta du Niger (Niger Delta Avengeurs, NDA) au mois de juillet, une quinzaine au total en 2016 (voir carte ci-dessous). Depuis le lancement en février de son « opération économie rouge », le nouveau groupe rebelle qui empruntent son nom aux superhéros des comics américains Marvel ne cesse de faire parler de lui dans le delta du Niger, d’où provient la quasi-totalité du pétrole nigérian, premier producteur du continent.

Selon Martin Ewi, spécialiste du Nigeria affilié à l’Institute for Security Studies (ISS), une soixantaine d’attaques ont été conduites au mois de mai et juin dans le delta du Niger. Leur résurgence dans cette région du sud-est du Nigeria qui, depuis près de cinquante ans, est le théâtre du mouvement sécessionniste biafrais, fait craindre à un retour au scénario du début des années 2000, quand le MEND (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger) multipliait les sabotages et les enlèvements de travailleurs du secteur pétrolier.

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Plusieurs groupes rebelles ? 

Les estimations varient au gré des déclarations de l’armée nigériane et des communiqués des compagnies pétrolières visées ou encore des revendications des Vengeurs du delta du Niger via Twitter ou leur site internet. Pour l’expert de l’ISS, basé à Pretoria, « il est difficile d’attribuer toutes ces attaques aux NDA, surtout lorsqu’ils ne les revendiquent pas ».

Le groupe rebelle a ainsi démenti avoir été l’auteur des deux attaques meurtrières au cours desquelles 8 policiers et soldats de l’armée nigériane ont été tués, affirmant ne s’attaquer qu’aux biens et non aux personnes. Les rebelles ont par ailleurs régulièrement l’existence « d’imposteurs » sur Facebook et Twitter, si bien qu’ils ont décidé début juillet de communiquer désormais qu’à travers leur site internet. C’est par ce biais qu’ils ont également démenti avoir entamé tout dialogue avec le gouvernement nigérian.

Attaques dans le delta du Niger (février - août 2016). © Carte JA.

Attaques dans le delta du Niger (février - août 2016). © Carte JA.

Comment expliquer la résurgence des attaques ?

La résurgence des attaques coïncide avec l’annonce de la fin en 2018 du programme d’amnistie dont bénéficiaient les anciens rebelles du MEND,  30 000 militants au total. Sa non-reconduction était l’une des promesses de campagne du président nigérian Muhammadu Buhari. Conclu en 2003, l’accord prévoyait le versement de 65 000 nairas (204 dollars) par mois à chaque ex-rebelle en échange de son renoncement à la violence.

Les Vengeurs du delta du Niger ont plusieurs fois rejeté les accusations selon lesquelles ils compteraient dans leurs rangs d’anciens du MEND. Tompolo, de son vrai nom Government Ekpemupolo, l’un des ex-chefs rebelles les plus connus, arrêtés en janvier pour corruption, a lui même démenti dans la presse nigériane appartenir à la nouvelle organisation.

Tout porte à croire que les anciens insurgés du MEND sont derrière la création des Vengeurs du delta du Niger

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Mais, pour Martin Ewi, « tout porte à croire que les anciens insurgés du MEND sont derrière la création des Vengeurs du delta du Niger », « Sinon, pourquoi demanderaient-ils la reconduction de l’amnistie de 2009 dont seuls les ex-rebelles bénéficient ? », s’interroge l’expert de l’ISS. C’est en effet l’un des onze points de la liste de revendications portée par les Vengeurs du delta du Niger publiée le 13 février sur leur site internet au moment du lancement de leur opération intitulée « économie rouge ».

Y figure également la demande du partage de la propriété des blocs pétroliers – 60% d’entre elle accordée pour la région pétrolière et 40% pour le reste du pays -, point qui rejoint les aspérités du mouvement indépendantiste biafrais, comme le MEND en son temps. Beaucoup craignaient qu’avec la victoire de Muhammadu Buhari, musulman du nord, les tensions rejailliraient dans la région du delta du Niger d’où était originaire le président sortant, Goodluck Jonathan.

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De lourdes conséquences économiques

Toutes les compagnies pétrolières sont visées (voir carte ci-dessous), multinationales étrangères (Exxon Mobil, Chevron, Royal Dutch Shell, ENI) autant que la compagnie nationale NNPC, et sa filiale NPDC. Le 11 juillet, l’Américain Exxon Mobile avait été victime du sabotage de l’un de ses plus gros canaux d’exportation. Début mai, Chevron avait annonçait une perte significative de sa production, réduite à 35 000 barils de pétrole par jour alors qu’elle était d’environ 240 000 barils par jour après l’attaque près de Warri (État du Delta) de l’une de plate-forme offshore, gravement endommagée par des explosifs. Dans la foulée, le géant anglo-néerlandais Shell avait décidé de faire évacuer son personnel d’un de ses sites offshore pour des raisons de sécurité.

En quelques mois, la production de brut du Nigeria, qui représente 70% de ses revenus, a chuté du tiers, selon l’AFP (chiffres d’août 2016) . D’après le secrétaire d’État nigérian pour les ressources pétrolières, Emmanuel Kachikwu, la production de brut était passée de 2,2 millions comme prévu dans les projections budgétaires à 1,4 million de barils par jour, soit son plus bas niveau depuis les années 1990. Une situation économique difficilement tenable pour la première économie africaine, frappée par la chute des cours du pétrole au niveau mondial et en proie à la récession.

Carte des installations pétrolières dans le delta du Niger (août 2016). © Jeune Afrique

Carte des installations pétrolières dans le delta du Niger (août 2016). © Jeune Afrique

Buhari durcit la présence militaire et relance l’amnistie

Partagé entre deux fronts – les insurgés islamistes de Boko Haram au Nord et les rebelles du delta du Niger au Sud -, le président Buhari a décidé de faire arrière. Annonçant le 29 mai pour le premier anniversaire de son arrivée au pouvoir, la relance du programme d’amnistie et la reprise du dialogue avec rebelles du delta du Niger.

Une proposition restée lettre morte puisque les Vengeurs du delta du Niger ont jusqu’à présent refusé de participer à des pourparlers. Devant la multiplication des attaques au mois de juillet, le chef de l’État nigérian a annoncé le déploiement la semaine dernière de l’armée nigériane dans la région. Le porte-parole du programme d’amnistie a par ailleurs indiqué le 3 août que des fonds supplémentaires avaient été accordés au programme d’amnistie qui en 2016 n’a reçu que 20 milliards de nairas (56 millions d’euros) contre 64 milliards approuvés en 2015, pour le versement des allocations aux anciens rebelles.

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