Tunisie : Chokri Belaïd, deux ans après, l’enquête piétine toujours
Deux ans après l’assassinat du militant de gauche Chokri Belaïd, la vérité est loin d’être faite sur ce drame qui a profondément choqué les Tunisiens. Où en est l’enquête ?
Mercredi 6 février 2013 à 8h05, Chokri Belaïd était abattu en sortant de chez lui. Près de 1,4 million de Tunisiens, choqués par ce premier assassinat politique, suivront son cortège funéraire. L’exécution du leader du parti El Watad – gauche nationaliste – allait déclencher une crise politique sans précédent qui conduira à la démission du gouvernement de Hamadi Jebali. Depuis, tous les mercredis, sous les fenêtres du ministère de l’Intérieur, les militants de gauche réclament vérité soit faite. Retour sur les principaux développements de l’enquête.
Une enquête qui peine à démarrer
Le dossier de l’assassinat est confié à une brigade criminelle d’El Gorjani n’ayant aucune compétence en matière de crimes politiques. L’enquête reste au point mort et aucune information ne remonte jusqu’au juge chargé d’instruire le dossier. L’Initiative pour la recherche de la vérité sur l’assassinat de Chokri Belaïd (Irva), comité fondé par des proches, souligne un manque de volonté politique, notamment celle d’Ali Laarayedh, alors ministre de l’Intérieur, pour faire toute la lumière dans cette affaire.
Les médias font avancer le dossier
Les médias enquêtent et apportent des débuts de pistes ; Moez Bey, journaliste d’Akher Khabar, reconstruit la dynamique de l’assassinat, recoupe les bandes vidéos autour de la maison de Chokri Belaïd et apporte des éléments solides. Le ministère de l’Intérieur sera contraint de les examiner et d’identifier les meurtriers. La nomination de Lotfi Ben Jeddou à l’Intérieur et l’assassinat d’un autre chef de la gauche nationaliste, Mohamed Brahmi, en juillet 2013, font que l’enquête passe à la vitesse supérieure.
Dissimulation de preuves par la police
Entre temps, l’Irva prouve que le dossier comportant les résultats des analyses balistiques a été caché délibérément par l’ancien directeur de la sûreté publique, Ouahid Toujani. Ce point permettra au juge d’instruction de convoquer, en 2015, Ali Laarayedh et Ouahid Toujani à titre de témoins informés des faits.
L’étau semble se resserer
Dès l’annonce de l’assassinat, les regards s’étaient tournés vers les dirigeants du parti islamiste d’Ennahdha et de leurs liens troubles avec les radicaux d’Ansar Al-Chariaa, qu’ils avaient ensuite désavoués. L’ordre de l’exécution, selon des fuites proches du dossier, aurait été donné dans l’entourage d’Abou Iyadh, chef d’Ansar Al-Charia, réfugié en Libye suite à l’attaque de l’ambassade des États-Unis en septembre 2012.
En 2013, l’étau semble se resserrer, arrestations et interrogatoires se succèdent mais les membres du commando, composé de près de 8 personnes, entre les accompagnateurs et les exécutants, ont pour la plupart quitté le territoire. Sauf Kamel Kadhgadhi, qui aurait tiré sur Chokri Belaïd. Selon le ministère de l’Intérieur il aurait été le seul tireur. Il sera abattu lors d’un coup de filet antiterroriste à Raoued, le 4 février 2014. Cela n’empêchera pas Boubaker Al-Hakim, alias Abou Mouqatel, de revendiquer l’assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi sur une vidéo diffusée par l’État islamique (EI) en novembre 2014.
Des recours en dehors de la Tunisie
Les proches de Chokri Belaïd et l’Irva restent sceptiques quant aux conclusions de l’enquête et se réservent de présenter des recours auprès du Conseil des droits de l’Homme à l’ONU pour que le gouvernement tunisien s’explique quant au retard pris par l’enquête. Une deuxième requête a également été présentée devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Deux ans plus tard, de multiples questions en suspens
Selon la version officielle, Kamel Gadhgadhi aurait été l’unique exécutant mais de nombreuses interrogations sont encore en suspens. "Depuis deux ans, rien n’a bougé. Nous pourrons dire que les choses ont changé si pour le troisième anniversaire de cet assassinat, nous savons qui sont les commanditaires, les exécutants, les complices et les financiers ; alors la confiance sera réinstaurée. La présidence de la République s’est engagée à révéler la vérité ; c’est l’unique engagement sérieux que nous ayons", déclare Besma Belaïd, l’épouse de Chokri Belaïd.
Le 6 février 2015, le gouvernement de Mehdi Jomâa passe les rênes à celui de Habib Essid ; la Tunisie entame sa seconde République mais une question persiste : "qui a tué Chokri ?"
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Frida Dahmani, à Tunis
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