Non, l’Afrique centrale n’a pas tout faux !
Quels arguments opposer à ceux qui dépeignent l’Afrique centrale comme un trou noir de la démocratie ?
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Georges Dougueli
Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.
Publié le 30 juin 2016 Lecture : 3 minutes.
La tâche est ardue, et les apparences ne plaident pas en faveur des pays concernés. D’un point de vue d’astronaute, le panorama est même saisissant ! Laissons de côté la Centrafrique, qui se relève d’un conflit civil et d’une grave crise humanitaire. Trois pays ont organisé des élections présidentielles en ce premier semestre de 2016. À chaque fois, le président sortant a été donné vainqueur : le 20 mars, le Congolais Denis Sassou Nguesso a été élu avec près de 60 % des voix ; le 10 avril, Idriss Déby Itno a suivi, avec 61,56 % des suffrages au Tchad.
Deux semaines plus tard, c’était au tour de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de rempiler, avec 93,7 % des voix à Malabo. À chaque fois, les scrutins ont été contestés par l’opposition. En vain. Et chacun de ces trois chefs d’État a déjà passé plus de deux décennies au pouvoir.
Dans la sous-région, ils ne sont pas les seuls. Au Cameroun, il fait peu de doute que Paul Biya, 83 ans dont trente-trois au pouvoir, sera candidat à la présidentielle de 2018. Quant au Gabon, même si Ali Bongo Ondimba (candidat à sa propre succession, le 27 août) n’a pour l’instant effectué qu’un seul mandat, il pâtit d’une mauvaise image. Sans doute paie-t-il l’exceptionnelle longévité du défunt Omar Bongo Ondimba – quarante et un ans à la tête du pays – et l’interminable épisode de contestation qui a suivi le scrutin de 2009.
Le Gabon est plus proche des standards démocratiques que ses voisins.
Vu de loin donc, l’Afrique centrale ressemble à une constellation de pouvoirs autoritaires qui s’appuient sur une oligarchie aux ordres pour opprimer et spolier des peuples majoritairement pauvres dans un contexte de corruption généralisée.
La réalité est plus nuancée. Les mœurs politiques ont leurs subtilités qui échappent à un examen trop rapide, et le jeu politique est parfois faussé par une flopée d’opposants sans vraies convictions, qui maquillent en dénonciation du système le désir d’en faire partie. Prenons deux pays : le Gabon et le Cameroun. À Libreville, une partie des crispations actuelles viennent du fait que ces mêmes « opposants » ont trouvé porte close. Mais, au quotidien, le pays est plus proche des standards démocratiques que ses voisins.
La presse peut traiter le président de « sans-papiers », l’agonir d’injures, appeler au meurtre de la « légion étrangère » qui l’entoure sans qu’aucun journaliste ne soit jeté en prison. Un opposant, magistrat de profession, peut multiplier les procédures judiciaires pour obtenir la destitution du chef de l’État sans encourir les foudres du pouvoir.
La Cour constitutionnelle peut annuler un grand nombre d’ordonnances signées du président tout en menaçant d’invalider la loi de finances sans occasionner de crise institutionnelle. Le président de l’Assemblée nationale peut, à trois mois de la présidentielle, quitter le perchoir, démissionner du parti au pouvoir et se déclarer candidat sans ébranler la solidité de l’édifice. De puissantes centrales syndicales peuvent paralyser le pays et obtenir la tête du ministre de l’Éducation nationale. Oh, comme ailleurs, le pays a ses travers.
Ali a beau avoir « débongoïsé » l’État, sa famille a beau être moins présente aux affaires qu’il y a sept ans, quelques-uns de ses membres perpétuent encore cette pratique qui mêle sphère privée et affaires publiques. Le problème numéro un du Gabon demeure le détournement de deniers publics. Quant aux médias d’État, ils demeurent peu accessibles aux opposants.
Au Cameroun, les institutions sont solides et l’opposition prend une part active au débat
Et le Cameroun dans tout cela ? Oui, à Yaoundé, un centralisme jacobin a dépouillé le Parlement de tout pouvoir de contrôle. Oui, la justice est pauvre, et les magistrats sont sous surveillance. Oui, le conseil constitutionnel prévu par la Constitution de 1996 n’a jamais été mis en place. Oui, la société civile, politisée et dynamique dans les années 1990, murmure aujourd’hui sous le bâillon. Mais les institutions sont solides et fonctionnent. L’opposition prend une part active au débat. La liberté d’expression est effective, et le chef de l’État en prend lui aussi pour son grade.
Le processus électoral a positivement évolué grâce à la mise en place de la biométrie. Quant à l’opération Épervier, même si elle souffre des ingérences de l’exécutif et même si les décisions de justice qui en découlent sont parfois d’une incompréhensible sévérité, elle traduit une réelle volonté de lutter contre la corruption. Alors non, en dépit des apparences, l’Afrique centrale n’est pas un trou noir. L’horizon s’éclaircit. Lentement mais sûrement.
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