La concurrence stratégique entre les pays africains est réelle
Des mutations structurelles redéfinissent dès à présent l’environnement économique mondial pour les décennies à venir, avec une polarisation accrue des ressources financières, humaines et technologiques dans des places fortes régionales. Les pays africains sont eux aussi concernés par ces mutations.
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Mark-Alexandre Doumba
Financier franco-gabonais, directeur général d’Enovate Capital, holding d’investissement établi à Dubaï
Publié le 17 juin 2016 Lecture : 4 minutes.
Des divergences colossales et durables se mesurent déjà en Occident et dans les pays émergents. En Europe, le revenu moyen par habitant de la France, de l’Allemagne et de la Belgique est supérieur de 35 % au revenu moyen des habitants du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie. En Asie, ce revenu est estimé à 33 200 dollars pour l’Asie de l’Est contre 27 330 dollars américains pour l’Asie du Sud-Est et seulement 6 000 dollars américains pour l’Asie du Sud.
Il est à craindre que de tels écarts de richesses apparaîtront et se maintiendront entre les régions et les États d’Afrique subsaharienne. Ceux qui transformeront durablement leurs économies et formeront leurs ressources humaines seront les « locomotives ». Et, aussi déplaisant que cela soit, les autres États de la sous-région qui n’aborderont pas franchement ce tournant devront se contentent d’un rôle de «wagons», à la périphérie de l’activité économique, industrielle et technologique.
Il y a une réticence à évoquer ce sujet, mais la concurrence stratégique entre les pays africains est réelle.
Les décideurs africains doivent se pencher sur les causes des écarts de richesse entre économies nationales : ils ne sont plus dus principalement à l’abondance des ressources naturelles mais aux écarts de productivité liés à la fracture numérique, aux infrastructures productives de base, au rendement du capital humain, à la qualité des institutions et à la financiarisation de l’économie.
La concurrence stratégique entre les pays africains est réelle
Par ailleurs, il faut passer de « plans émergents » conçus en autarcie, sans tenir compte des stratégies des pays de la région, à des stratégies qui prennent en considération la concurrence à laquelle ces États font réellement face au niveau régional.
Il y a une réticence à évoquer ce sujet, mais la concurrence stratégique entre les pays africains est réelle. En 2014, près de 45 états d’Afrique subsaharienne ont été en concurrence pour capter les 45 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) orientés vers le sud du Sahara.
Le tiers de ces IDE a été alloué à seulement trois pays : la République du Congo (5,5 milliards de dollars), le Mozambique (4,9 milliards) et le Nigéria (4,7 milliards).
Cette compétition est aussi sectorielle. Selon le World Investment Report, 45 % des stocks d’IDEs en Afrique subsaharienne étaient orientés vers le secteur des services, 35 % vers le secteur primaire, et 20 % vers le secteur manufacturier en 2012. Les flux d’IDE en direction du secteur des services se sont accrus d’un facteur de 4 entre 2001 et 2012.
Ces faits montrent que le continent assiste à un « saut industriel » modéré, hétérogène, et progressif selon les pays.
Le Nigeria, l’Éthiopie, la Cote d’Ivoire, le Cameroun et le Kenya semblent favorablement positionnés comme locomotives au Sud du Sahara.
Quelles locomotives demain ?
Les locomotives de demain sont les États visionnaires qui mesurent les implications des tendances évoquées et qui ont comme stratégie de s’insérer dans les chaînes de valeur des secteurs catalyseurs de flux d’IDE.
Ces États pragmatiques savent faire le lien entre les avantages naturels dont ils disposent et les reformes institutionnelles nécessaires. Pour ces futures locomotives, le statut de «pays émergent» est synonyme d’une amélioration partagée de la qualité de vie via un positionnement stratégique, compétitif et durable dans le contexte de chaînes de valeurs régionales et mondiales. L’atteinte d’un taux de croissance à deux chiffres n’en est qu’une conséquence.
Le Nigeria, l’Éthiopie, la Cote d’Ivoire, le Cameroun et le Kenya semblent favorablement positionnés grâce : à la taille de leur marché domestique, à leur positionnement de hubs sous-régionaux avec de grands projets d’infrastructures, et au dynamisme de leur secteur privé.
Leur croissance tient en partie à leur habilité à capter une part importante de la demande régionale, à favoriser l’éclosion et la régionalisation de champions nationaux, à mobiliser l’épargne domestique dans les PME et internationale dans le développement d’infrastructures d’industrie et de services structurants, et à jouer un rôle majeur dans la production et dans l’exportation d’un savoir-faire ou d’un produit à valeur ajoutée hors pétrole et mines.
À savoir : fleurs et produits industriels à bas prix pour l’Éthiopie, café-cacao et huile de palme pour la Cote d’Ivoire, ciment et services financiers pour le Nigeria, denrées alimentaires et bétail pour le Cameroun, et services financiers, touristiques et technologiques pour le Kenya.
Le Rwanda et le Togo se positionnent de manière stratégique malgré l’étroitesse de leur marché local
Des pays moins peuplés comme le Rwanda et le Togo se positionnent également de manière stratégique malgré l’étroitesse de leur marché local, sur des segments technologiques, financiers pour banques panafricaines et de hubs en logistiques portuaires.
Se repositionner de manière stratégique
Pour devenir des locomotives, les états doivent s’approprier le concept de compétitivité à l’échelle nationale, certes, mais ils doivent surtout apprendre à la repositionner dans un contexte de concurrence active avec leurs voisins frontaliers, linguistiques, démographiques, et économiques sous la forme de « compétitivité relative ».
La thèse d’un accroissement inéluctable des écarts de richesses entre États africains peut être atténuée par une intégration régionale inclusive and homogène. Mais la course est lancée. Les locomotives s’activent pour accroître la compétitivité relative de leurs économies.
Gare aux États insoucieux des mutations économiques en cours car le décrochage en route peut coûter durablement cher. Alors… Locomotive ou wagon ?
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