Du bon usage des stéréotypes

Ce matin, je me hâtais dans les couloirs du métro parisien – pourquoi courons-nous toujours dans le métro ? – lorsqu’une phrase, lue machinalement du coin de l’œil, m’arrêta net.

Christian Nassif, a représenté la Centrafrique aux Jeux olympiques de Londres en nage libre. © Matt Slocum/AP/SIPA

Christian Nassif, a représenté la Centrafrique aux Jeux olympiques de Londres en nage libre. © Matt Slocum/AP/SIPA

Fouad Laroui © DR

Publié le 24 juin 2016 Lecture : 2 minutes.

Je revins sur mes pas, le sourcil froncé, pour lire ces quelques mots choquants : « Tout le monde sait que les Noirs ne savent pas nager. » Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce scandale ? Mieux examinée, l’affiche livra son secret. Ouf ! Il s’agissait en fait d’une campagne d’éducation civique qui utilisait l’ironie pour essayer de faire réfléchir le pékin. Et à propos de pékin, l’autre phrase censée nous titiller était : « Tout le monde sait que le ping-pong est un sport de Chinois. » En bas, quelque chose comme « Ne nous arrêtons pas aux clichés, etc. » Je souris. Bravo, c’est bien joué.

Du moins est-ce ma première réaction après avoir compris de quoi il s’agit. Et puis j’entends, quelque part dans l’éther, une voix fluette énoncer paisiblement cette phrase :

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– C’est bien vrai, on ne voit jamais de Noirs aux Jeux olympiques de natation.

L’ironie est le procédé rhétorique le moins compris

Je me tourne vers la droite. C’est une petite vieille dame qui s’est arrêtée comme moi devant l’affiche et qui donne ainsi, l’air benoît, sans méchanceté, son imprimatur à la chose. Au premier degré. Lui échappe complètement qu’il s’agit d’ironie. Ah, l’ironie ! C’est le procédé rhétorique le moins compris, le plus dangereux.

Vous dites le contraire de ce que vous pensez pour stimuler le débat – c’est ça, l’ironie -, et aussitôt un pégreleux bas de plafond de Reykjavik ou une fouine mal lavée de Hambourg – l’horreur universelle d’internet – déclenche une campagne de presse contre vous, vous attribuant donc une pensée diagonalement opposée à la vôtre…

J’hésite un instant. Dois-je, dans les couloirs de Châtelet-Les Halles, engager une discussion avec la vieille dame, lui parler rhétorique, double sens, etc. Bah ! À Paris, on ne se parle pas dans le métro. Respectons cette tradition exactement centenaire. Je repars donc vers mon destin, dans les boyaux obscurs de la Ville Lumière, courbé sous le poids de graves interrogations. Faut-il, pour combattre les préjugés, commencer par les répandre ? (Ce serait amusant s’il s’agissait de la peste.)

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– Ne dites pas : « saoul comme un Polonais » !

– Ah bon ? Les Polonais sont toujours saouls ?

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On voit le danger de la chose. Je suggère donc à la société qui a conçu la campagne parisienne d’éducation civique de la modifier en la basant sur des stéréotypes positifs : « Les Maghrébins sont hospitaliers », « les Français sont les meilleurs cuisiniers du monde », « les Noirs sont naturellement élégants », etc. Au moins, s’ils sont pris au pied de la lettre, ces clichés feront moins de dégâts… Et on imagine mal les intéressés protester vigoureusement, surtout les Français d’origine maghrébine au teint foncé, qui, c’est bien connu, vous reçoivent volontiers chez eux, vêtus comme l’Aga Khan, pour vous mitonner d’inoubliables festins…

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