Cinéma – Karim Moussaoui : « Tout le monde a choisi la logique de la guerre »
L’aube de la décennie noire en Algérie vue à travers les yeux de deux adolescents. Les Jours d’avant, court-métrage multirécompensé et nommé aux César 2015, sort en salle le 4 février.
Sidi Moussa, cité grisâtre ceinturée de champs à 25 km au sud-est d’Alger. Le quotidien déroule ses journées mornes sous une pluie battante. Filles et garçons rêvent d’amour, de liberté. Mais du foyer au lycée, leur vie est cadenassée, la parole impossible entre personnes de sexes opposés. Rien ne semble devoir briser leur ennui.
Sauf que nous sommes en 1994 et que ces jeunes vont bientôt sursauter au bruit des rafales, assister à des assassinats en pleine rue. Karim Moussaoui évoque la guerre civile à partir d’un récit intimiste, les préoccupations d’adolescents qui étaient aussi les siennes lorsqu’il vécut le début du conflit dans ce même quartier de Sidi Moussa.
Rencontre avec le réalisateur à Paris où il participe à une résidence organisée par le Festival de Cannes pour l’écriture de son premier long-métrage. Barbe discrète, regard sombre, le quasi-quadra s’anime au fil de l’entretien.
Jeune afrique : Vous décrivez le quotidien insouciant d’adolescents, avant de les confronter à la violence de la guerre. C’est une façon de souligner l’horreur du conflit ?
Karim Moussaoui : Je voulais décrire une situation paradoxale : la mort rôde et tout le monde fait comme si de rien n’était. Les gens ont même encore plus envie de vivre et osent des choses qu’ils ne feraient pas autrement. C’est ainsi que les deux jeunes héros de l’histoire, Djaber et Yamina, cherchent à se rapprocher.
Lorsque la mort s’est rapprochée, que les tueurs ont frappé dans la rue, nous avons pris conscience de notre fragilité.
Vous faites dire à Djaber : "Des meurtres avaient lieu partout. […] Je ne me sentais pas concerné. Mais ce jour-là, c’était arrivé devant chez moi. Deux heures plus tard, j’avais presque oublié."
Oui, je voulais mettre en évidence toutes les étapes par lesquelles on passe face à la mort, et le déni en fait partie. Au début, on pensait que seules certaines cibles représentant le pouvoir étaient visées : policiers, journalistes, politiciens… Lorsque la mort s’est rapprochée, que les tueurs ont frappé dans la rue, nous avons pris conscience de notre fragilité. Nous avons pourtant continué à nous aveugler jusqu’à ce que nous n’ayons plus le choix.
Évoquer la guerre civile est-il toujours compliqué en Algérie ?
Une dizaine de films en lien avec la guerre ont été réalisés. Je pense par exemple au Repenti, de Merzak Allouache, sur un terroriste qui quitte le maquis. Mais parler de cette décennie reste problématique : la plupart des protagonistes sont encore vivants, et des secrets n’ont pas été révélés.
L’accueil réservé au film a-t-il été différent en Algérie et en Europe ?
Non, ce qui m’a fait plaisir car cela prouve que sa portée est universelle ! Le film a été primé à Oran – une sorte de désaveu du ministère de la Culture algérien, qui n’avait pas participé à son financement -, mais aussi à Namur, Cordoue, Angers… Il est aujourd’hui nommé aux césars. Étrangement, les spectateurs, d’où qu’ils soient, ne voient pas qu’il s’agit aussi d’un film sur la responsabilité.
C’est-à-dire ?
Tout le monde a choisi rapidement la logique de la guerre sans se poser de question. Qui étaient ces hommes qui ont pris les armes contre leurs frères ? Pourquoi l’ont-ils fait ? Il y aurait pu y avoir un débat national, mais le silence a dominé.
Vous sentez-vous également responsable ?
Oui, pas moins que les autres. J’aurais pu sortir de mon petit milieu, être plus à l’écoute, aller voir dans les quartiers d’à côté ces jeunes qui étaient dans la frustration, la "mal-vie". Je ne l’ai pas fait.
Feriez-vous un parallèle avec les attentats qui ont eu lieu récemment en France ?
Ce qui est sûr, c’est que l’idéologie qui les a poussés à cette folie profite de l’ignorance, de l’exclusion. Il faut aller chercher les endroits du désespoir et de l’injustice.
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