Dette de la Grèce : David Tsipras contre Goliath Merkel

Grand vainqueur des législatives du 25 janvier, le champion de la gauche radicale veut en finir avec l’austérité et renégocier la dette de son pays. Mais sans sortir de la zone euro. Face à l’Europe des riches conduite par l’Allemagne, quelles chances a-t-il de réussir ?

Alexis Tsipras, le leader de Syriza, arrivant à son bureau de vote, à Athènes, le 25 janvier. © Petros Giannakouris/AP/Sipa

Alexis Tsipras, le leader de Syriza, arrivant à son bureau de vote, à Athènes, le 25 janvier. © Petros Giannakouris/AP/Sipa

Publié le 4 février 2015 Lecture : 5 minutes.

C’est sous le signe de la résistance et de la rupture qu’Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec, a placé son mandat. Résistance, parce que son premier geste a été, symboliquement, de se rendre à Kaisariani, dans la banlieue d’Athènes, pour déposer une gerbe devant le mur des Fusillés – là où, le 1er mai 1944, 200 militants communistes furent assassinés par les occupants nazis.

Rupture, parce que, contrairement à tous ses prédécesseurs, il n’a pas prêté serment sur la Bible mais s’est engagé "en paroles et en actes à respecter la Constitution et la loi". Dans ce pays où la séparation de l’Église (orthodoxe) et de l’État n’existe pas et où la première continue de jouer un rôle politique, économique et social important, Tsipras se réclame de la laïcité.

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La grande première d’un parti de gauche radicale

Syriza est évidemment confronté à un défi : c’est la première fois en Europe qu’un parti de la gauche radicale est appelé à gouverner. Sa victoire aux législatives du 25 janvier ne se discute pas. Il a recueilli 36,34 % des suffrages, loin devant la Nouvelle Démocratie (ND, droite), le parti d’Antonis Samaras, le chef du précédent gouvernement (27,81 %) ; Aube dorée, parti néonazi apparu en 2012 (6,28 %) ; To Potami ("la rivière"), parti libéral financé par les grands groupes industriels et financiers spécialement créé pour les européennes de 2014 (6,05 %) ; le KKE, le très dogmatique Parti communiste (5,47 %) ; les Grecs indépendants, un parti souverainiste de droite (4,75 %) ; et, pour finir, le Pasok, parti social-démocrate vainqueur des législatives de 2009 avec près de 40 % des voix, qui poursuit sa vertigineuse descente aux enfers (4,68 %). Le paysage politique est bouleversé comme par un séisme.

Pourquoi la ND et le Pasok, qui gouvernaient ensemble depuis 2011, ont-ils été si brutalement rejetés ? À cause, bien sûr, des politiques menées depuis 2010. Afin d’éviter le défaut de paiement, le gouvernement du social-démocrate Georges Papandréou s’était vu à l’époque octroyer un premier prêt de l’Union européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne (BCE) en échange de l’adoption d’un "mémorandum" d’inspiration ultralibérale : baisse des salaires, des pensions et des minima sociaux, coupes budgétaires, hausse des taxes et des impôts, privatisations, etc.

Deux autres prêts allaient suivre, assortis eux aussi de mémorandums. Résultat ? Entre 2010 et 2015, l’économie s’est effondrée, le nombre des chômeurs a triplé de même que celui des pauvres, tandis que la dette passait de 120 % du PIB en mai 2010 à 175 % aujourd’hui.

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Former un gouvernement de coalition

Renégociation de la dette, rétablissement du salaire minimum à 751 euros (son niveau de 2010, contre 581 euros aujourd’hui), mise en oeuvre d’un plan de lutte contre la crise humanitaire, développement du logement social, baisse des dépenses militaires, tels sont les grands axes de la nouvelle politique économique et sociale. Syriza souhaite en outre réformer et moderniser l’État, notamment en instaurant davantage de transparence lors de l’attribution des marchés publics. Il a le vent en poupe et il en profite, mais il a quand même manqué, de fort peu (de 2 sièges sur 300), la majorité absolue à la Vouli (Parlement). Il lui a donc fallu former un gouvernement de coalition avec les Grecs indépendants (13 sièges).

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Cette alliance repose sur un dénominateur commun : la volonté de changer de politique économique et sociale tout en maintenant le pays au sein de l’eurozone et de l’Union européenne. Elle est cependant surprenante, voire contre nature. Né en 2012 d’une scission au sein de ND, le parti des Grecs indépendants est en effet souverainiste, mais de droite. Sur les questions de moeurs, de société et sur certains aspects de la politique étrangère, il est aux antipodes de son nouveau partenaire.

Ce dernier plonge ses racines dans la tradition communiste grecque et la résistance à la dictature d’extrême droite de Ioannis Metaxas (1871-1941), puis dans l’opposition au régime des colonels, jusqu’en 1974. Mais c’est dans l’urgence que Tsipras a transformé en parti la "coalition de la gauche radicale".

Dans son gouvernement cohabitent des personnalités de la gauche radicale et des nouveaux venus qui ont fait leurs classes dans l’altermondialisme, le féminisme, la défense des droits des immigrés ou le mouvement des Indignés. Ces derniers ont été incités à entrer en politique par le déclenchement de la crise et la mise en place de politiques d’austérité. En 2013, ils ont participé à l’occupation de l’ERT, le groupe de radio et de télévision public hellénique, après sa fermeture par décret. Ils ont soutenu les femmes de ménage du ministère des Finances licenciées, participé aux manifestations contre les baisses de salaire…

Se heurter à de nouveaux obstacles

Syriza pourra-t-il tenir ses promesses ? Il va se heurter à de nombreux obstacles, dont le moindre ne sera pas l’opposition des marchés, qui voient d’un mauvais oeil l’arrivée au pouvoir de ce parti favorable à l’adoption d’un moratoire sur la dette : annulation partielle et renégociation des taux d’intérêt concernant la partie restante. D’ailleurs, à peine le nouveau gouvernement avait-il été nommé que la Bourse d’Athènes baissait de 5 %.

Autre inconnue : le comportement des dirigeants européens. On sait que la majorité d’entre eux n’ont pas ménagé leurs efforts pour empêcher l’arrivée au pouvoir de Syriza, qui, selon eux, provoquera inévitablement la sortie de la Grèce de l’euro. En 2012, quand Tsipras a demandé à être reçu par François Hollande, fraîchement élu à la présidence, celui-ci n’a pas daigné lui répondre. Et ne parlons pas d’Angela Merkel !

Le 16 janvier, Wolfgang Schäuble, son ministre des Finances, a déclaré à l’hebdomadaire Der Spiegel qu’une renégociation de la dette grecque était "hors de question" et que "les responsables de ce pays devaient veiller à ne pas faire avant les élections des promesses qu’ils ne pourraient pas tenir après". La première rencontre entre Merkel et Tsipras promet d’être intéressante. Celle entre Yannis Varoufakis, le nouveau ministre grec des Finances, et ses collègues européens aussi.

Des Indépendants sous surveillance

Alors que la Grèce est confrontée à une crise d’une ampleur sans précédent, les questions économiques ont été au centre des négociations entre Syriza et les Grecs indépendants (GI) de Panos Kammenos. Conscients qu’ils étaient les seuls à pouvoir apporter au parti de la gauche radicale les sièges qui lui manquaient pour constituer une majorité parlementaire, ces derniers ont placé la barre très haut.

Résultat ? Succès sur toute la ligne. Ils exigeaient le ministère de la Défense ? Ils l’ont obtenu. C’est Kammenos en personne – un populiste impliqué dans diverses affaires peu reluisantes – qui le dirigera. Ils voulaient d’autres postes au gouvernement ? Ils en ont obtenu quatre. Mais Tsipras est un habile tacticien. Les ministères accordés aux GI sont intégrés à dix superministères dirigés par des membres de Syriza. Quant à Kammenos, il s’est vu adjoindre deux ministres chargés de le "border". Une manière de maintenir ses alliés de circonstance sous pression. Avec la perspective, à terme, de les affaiblir.

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