Libye : tout le monde a son maux à dire
À Tripoli, un pouvoir autoproclamé aux mains d’islamistes. À Tobrouk, un gouvernement reconnu par la communauté internationale. Partout des milices rivales. Et maintenant, l’État islamique, qui a signé un attentat sanglant et cherche à s’implanter dans le pays. Il ne manquait plus que ça !
L’attentat revendiqué par l’État islamique qui, le 27 janvier, a frappé l’hôtel Corinthia à Tripoli est l’une des attaques les plus spectaculaires perpétrées en Libye depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, à la fin de 2011. Le bilan élevé (dix morts, dont au moins cinq étrangers) et le mode opératoire (un commando suicide précédé d’explosions de voitures piégées) marquent les esprits. À l’instar de l’attentat qui, en septembre 2012, avait coûté la vie à Christopher Stevens, l’ambassadeur des États-Unis, ce "raid Abou Anas al-Libi", comme l’ont appelé ses auteurs, aura des répercussions durables sur la guerre civile en cours, sur les chances d’une solution politique et sur l’attitude de la communauté internationale.
Corinthia, une cible de choix
La présence de nombreuses forces de sécurité publiques et privées faisait du Corinthia l’un des endroits réputés les plus sûrs de Tripoli. Cet hôtel moderne de 24 étages est l’un des derniers lieux de rendez-vous cosmopolites de la capitale libyenne. Avec son restaurant marocain, son club de fitness et ses multiples salles de conférences, le cinq-étoiles est la propriété d’une société maltaise. Depuis la guerre de 2011, c’est aussi là que se retrouvent responsables politiques locaux, émissaires étrangers et journalistes. En octobre 2013, Ali Zeidan, alors Premier ministre, y avait été kidnappé par des miliciens.
Une attaque sophistiquée
Mardi 27 janvier. Il est environ 8 h 30 quand une déflagration secoue le quartier de la vieille ville. Une double attaque à la voiture piégée sur le parking du Corinthia tue trois gardes de sécurité et ouvre la voie à des hommes armés (au moins deux) qui pénètrent dans le hall de l’hôtel et ouvrent le feu sur le personnel. Dans la cohue, certains employés et des clients parviennent à s’échapper. Des témoins affirment que l’un des assaillants a pu s’enfuir par une porte dérobée. Deux assaillants montent à l’étage. Ils parlent l’arabe libyen "avec un accent". L’un d’eux lance à la cantonade : "Où sont les kouffar [" infidèles "] ?"
Au pouvoir dans la capitale depuis août dernier, les islamistes de Fajr Libya, appuyés par les forces de Misrata, ont cru pouvoir contenir les extrémistes.
Après plusieurs heures d’affrontements émaillés de tirs, pendant lesquels on redoute une prise d’otage, les deux hommes sont encerclés au 21e étage, où ils se font exploser avec des grenades. On les identifiera par la suite comme "Abou Ibrahim le Tunisien" et "Abou Soulaiman le Soudanais". Un ancien marine employé d’une société américaine et un pilote français font partie des victimes.
Al-Hassi en plein déni
La rumeur selon laquelle Omar al-Hassi, le Premier ministre du gouvernement de salut national (GNS, non reconnu par la communauté internationale), était visé n’a pu être confirmée. Au pouvoir dans la capitale depuis août dernier, les islamistes de Fajr Libya, appuyés par les forces de Misrata, ont cru pouvoir contenir les extrémistes.
À plusieurs reprises, le GNS a minimisé la menace jihadiste, en défendant Ansar al-Charia face à l’opération Dignité du général Khalifa Haftar et en qualifiant l’organisation État islamique (EI) de "bande de jeunes gens idéalistes". Réagissant à chaud après l’attaque, le camp al-Hassi a accusé les anciens membres des comités révolutionnaires kadhafistes, sans convaincre qui que ce soit. Un déni incroyable qui achève de disqualifier le GNS aux yeux de la communauté internationale.
La signature de l’État islamique
L’attaque a été rapidement revendiquée sur les réseaux sociaux comme un raid ("ghazoua") de l’EI destiné à venger la mort d’Abou Anas al-Libi, un vétéran d’Al-Qaïda que Washington tenait pour le commanditaire des attentats de Nairobi et Dar es-Salaam en 1998. Capturé en octobre 2013 sur le sol libyen lors d’une intervention spectaculaire des forces spéciales américaines, Abou Anas est mort des suites d’un cancer hépatique, en janvier 2015,alors que son procès devait s’ouvrir à New York.
"Cette opération ne sera pas la dernière sur la terre de Tripoli si Dieu le veut", avertit le communiqué. L’État islamique n’en est pas à son coup d’essai en Libye. À Derna, il a proclamé le califat, mis sur pied une police islamique et pratique les décapitations. Toujours en Cyrénaïque, deux journalistes tunisiens ont été enlevés, et leur sort est incertain. À Sebha, dans le Sud, quatorze soldats ont été assassinés. À Tripoli, une voiture piégée a explosé devant l’ambassade d’Algérie et un bâtiment du Pnud a essuyé des coups de feu. L’EI affirme régner sur les trois provinces administratives : Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan.
Un dialogue politique, vite !
L’attentat est survenu alors que se tenait à Genève le second round d’un dialogue placé sous l’égide de Bernardino León, l’envoyé spécial de l’ONU. Le diplomate espagnol n’a pu obtenir la participation de Fajr Libya mais reste optimiste. Le principe de futures discussions incluant les islamistes et, peut-être, des groupes armés (qui tirent les fils de la guerre civile), a été accepté. L’objectif est de parvenir à un gouvernement d’union nationale pour gérer le pays sur la base d’une feuille de route non partisane. Le contrôle des ressources pétrolières et de la Banque centrale sera au centre des débats.
>> Lire aussi : Des barils et des balles
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