En Afrique, les groupes français se tournent vers de nouveaux espaces

Leurs marchés traditionnels sont saturés ? Qu’à cela ne tienne : les groupes français s’orientent vers de nouveaux territoires. Direction : l’Afrique anglophone et lusophone.  

En Afrique du Sud le consortium franco-canadien Bombela a construit et exploite le Gautrain. © Artur Widak / NurPhoto

En Afrique du Sud le consortium franco-canadien Bombela a construit et exploite le Gautrain. © Artur Widak / NurPhoto

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Publié le 6 février 2015 Lecture : 6 minutes.

France-Afrique, un new deal ? © Séverine Assous/Ilustrissimo pour J.A.
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Afrique-France, un new deal ?

Le 6 février, à Paris, l’État et les patrons français accueillent leurs homologues du continent pour inventer un nouveau partenariat économique.

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Tout un symbole ! Pour réaliser sa première opération de croissance externe en Afrique, le groupe français JCDecaux n’a choisi ni le Maroc, ni la Côte d’Ivoire, ni le Cameroun, mais… l’Afrique du Sud. D’ici à quelques semaines, le leader mondial de la communication extérieure finalisera la reprise de Continental Outdoor Media avec à la clé une présence dans quatorze pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe.

Passé directement d’une implantation dans trois pays au rang de numéro un continental, le groupe familial français ne cache pas sa principale motivation : saisir sa chance, quelle que soit la zone. « Nous ne cherchions pas à acquérir un opérateur dans chaque pays, car cela aurait pu se révéler complexe à intégrer. Et dans notre domaine, les opérateurs panafricains sont en Afrique du Sud », explique Jean-Sébastien Decaux, directeur général pour l’Europe du Sud, la Belgique, le Luxembourg, l’Afrique et Israël du groupe fondé par son père.

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À l’instar de JCDecaux, les sociétés françaises n’hésitent plus à sortir de la zone francophone. « Il n’y a plus de freins psychologiques en matière de géographie pour les grandes entreprises. La plupart ont déjà des équipes très techniques et expérimentées. Elles recrutent désormais des actifs quelle que soit la zone linguistique concernée », souligne Bruno Derieux, avocat associé chez Linklaters, un cabinet international parmi les plus actifs sur le continent.

Retard

Les exemples sont désormais nombreux. En deux opérations, menées en moins d’un an, Danone a rattrapé le retard accumulé par rapport à certains de ses concurrents implantés depuis de longues années au sud du Sahara, à commencer par Nestlé. Pour ce faire, le numéro un mondial des produits laitiers n’a pas hésité à sortir, comme son compatriote, de la zone d’influence historique de la France en Afrique : Fan Milk et Brookside Dairy, les deux compagnies dans lesquelles Danone a investi plusieurs centaines de millions d’euros, réalisent l’essentiel de leurs opérations respectivement au Ghana et au Kenya.

De même, dans sa nouvelle stratégie continentale, Pernod Ricard a sélectionné six pays, dont un seul francophone (le Maroc). Enfin, si l’arrivée de Carrefour en Afrique subsaharienne a été bruyamment annoncée via son implantation en Côte d’Ivoire, le groupe français devrait lancer à peu près au même moment ses activités dans un autre pays, anglophone celui-là : le Kenya.

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Fini les chasses gardées françaises dans les économies africaines ? « L’idée même d’une chasse gardée est trompeuse, lance un observateur. Prenez un exemple récent qui a fait beaucoup de bruit : l’attribution du second terminal à conteneurs d’Abidjan à Bolloré. Qui était en face de lui ? CMA-CGM et Necotrans, des groupes français… »

Étienne Giros, président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), ne dit pas autre chose : « L’Afrique s’est ouverte à la mondialisation. Les liens des élites du continent avec la France sont désormais davantage de l’ordre de la concurrence. Enfin, n’oubliez pas que dans plusieurs pays francophones, comme la Côte d’Ivoire, les groupes français sont déjà très présents. La marge de progression y est minime. »

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>>>> Alexandre Vilgrain : « Les entreprises hexagonales en ont marre de la Françafrique »

Pouvoir d’achat

Même si quelques retraits ont marqué les esprits (comme celui de Crédit agricole, qui a cédé ses filiales subsahariennes à partir de 2008), les groupes français historiquement implantés en Afrique ont utilisé leur connaissance du terrain pour se déployer au-delà de leurs implantations historiques. Héritier d’Elf et à ce titre symbole de la Françafrique, Total a considérablement élargi son champ d’influence, au point de faire de l’Angola, pays lusophone, le navire amiral du groupe sur le continent. En décembre, après 7 milliards d’euros d’investissements, le groupe a inauguré à 240 km au nord-ouest de Luanda, en plein océan Atlantique, une nouvelle et monumentale barge flottante de production et de stockage.

Lafarge, dont les premières implantations africaines s’étaient faites en Algérie ou au Cameroun, a beaucoup grossi au Nigeria, en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Le cimentier a même choisi sa filiale de Lagos pour absorber ses activités en Afrique du Sud, nommant ce nouvel ensemble (coté à la Bourse nigériane) Lafarge Africa. Sous la houlette de Dominique Lafont, Bolloré Africa Logistics (BAL) a quant à lui résolument mis le cap sur l’Afrique anglophone. Enfin, inenvisageable il y a une poignée d’années, un retour au Nigeria n’est plus exclu pour le groupe Société générale, numéro un des banques françaises en Afrique francophone.

La stratégie des groupes français en Afrique est de plus en plus déterminée par les opportunités de marché. Ainsi, l’importance que donne Business France (ex-Ubifrance, l’agence pour le développement international des entreprises françaises) à l’Angola tient en une phrase : ce pays à fort pouvoir d’achat importe la quasi-totalité de ses besoins. Le cabinet de conseil McKinsey rappelait il y a quelques années que dix pays réalisaient 81 % de la consommation privée du continent. Parmi ceux-ci, seulement trois francophones (l’Algérie, le Maroc et la Tunisie). Les opérateurs français en Afrique commencent à intégrer cette réalité.

Illusions

Il ne faudrait pas, pour autant, se faire d’illusions. Plus l’entreprise française est petite, plus il y a de chances pour que ses premiers pas se fassent en zone francophone. « Le côté linguistique compte toujours, surtout pour les entreprises de taille modeste, mais il ne faut pas y voir une dimension politique, résume Joël Krief, banquier d’affaires chez AM Capital, actif depuis plusieurs décennies sur le continent. C’est un lien naturel qui fait qu’une PME française ira avant tout en Côte d’Ivoire, au Maroc ou en Tunisie. »

Plus l’entreprise française est petite, plus il y a de chances pour que ses premiers pas se fassent en zone francophone.

Historiques ou nouveaux, les groupes français s’adaptent aussi, peu à peu, aux nouvelles pratiques du continent. Parmi elles, l’africanisation du management. Même si le chemin reste long (il suffit pour s’en convaincre de regarder la composition du comité de direction de CFAO, distributeur français passé sous contrôle japonais), les lignes bougent.

Société générale, longtemps symbole de la structure française dirigée par des expatriés, a ainsi fait monter un grand nombre de cadres locaux. Au Cameroun, le groupe bancaire est même allé débaucher son numéro deux, Georges Wega, chez un concurrent, United Bank for Africa (UBA).

Les Français envisagent également la possibilité de partenariats avec des locaux. Danone a ainsi accepté une place minoritaire (40 %) dans Brookside Dairy, laissant le contrôle à une famille kényane très influente, les Kenyatta. Un cas qui devrait toutefois rester rare : la plupart des grands groupes français, à l’instar des autres multinationales, aiment garder le contrôle.

Vivement concurrencées sur leurs terres par des groupes turcs, chinois ou marocains, les entreprises de l’Hexagone semblent en tout cas moins complexées par leur origine, considérant que les soupçons de Françafrique ne pèsent plus sur les relations d’affaires. « Les entreprises françaises bénéficient aujourd’hui d’une image plus positive. Elles profitent peut-être d’un certain nombre de déceptions qu’ont suscitées des opérateurs venant d’autres continents. Leur constance, malgré les crises, a sans doute fait remonter leur cote », constatait récemment dans Jeune Afrique Marc Rennard, vice-président Afrique d’Orange et membre de Medef International. Beaucoup rejettent désormais l’idée qu’il puisse subsister une collusion entre intérêts privés et intérêts publics entre la France et l’Afrique. « S’il y a encore des entreprises françaises qui croient en la Françafrique, c’est regrettable, avance Joël Krief. Car cela donne une mauvaise image des autres acteurs français sur le continent. » 

Hors des sentiers battus

Kenya

o Acquisition par Danone de 40 % de Brookside Dairy, numéro un du lait en Afrique de l’Est (juillet 2014)

Angola

o Inauguration par Total de la plateforme Clov (décembre 2014)

o Partenariat entre CMA-CGM et l’opérateur angolais Multiparques pour le développement de plateformes logistiques à l’intérieur du pays (janvier 2015)

Afrique du Sud

o Accord d’acquisition par JCDecaux de Continental Outdoor Media, numéro un africain de l’affichage urbain (décembre 2014)

o Contrat de 4 milliards d’euros entre une filiale locale d’Alstom Transport et Prasa, l’agence publique sud-africaine de transport ferroviaire de passagers, portant notamment sur la fourniture de 600 trains sur dix ans (octobre 2013)

Nigeria

o Acquisition par Axa de l’assureur Mansard Insurance, pour 198 millions d’euros (décembre 2014)

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