Entre le Maroc et l’Égypte, après le fiel, le miel
Unis par l’Histoire mais séparés par l’idéologie, Rabat et Le Caire ont toujours su éviter le pire. Comme l’atteste le réchauffement en cours après une guerre médiatique larvée.
L’escalade médiatique entre Rabat et Le Caire, dont le point d’orgue fut la diffusion par la télévision nationale marocaine d’un reportage qualifiant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi de "putschiste", n’est plus qu’un mauvais souvenir. Le royaume chérifien est même désormais choyé par la presse égyptienne. "Notre relation est millénaire", écrit le journal à grand tirage Al-Gomhuria. "Dieu soit loué ! Cette crise qui nous a opposés n’était qu’un nuage d’été", renchérit Issam al-Obeidi, éditorialiste vedette du quotidien Al-Wafd. "Frères marocains, nous savons que vous nous adorez !" s’enthousiasme le célèbre Al-Ahram.
La réconciliation entre les deux pays a été scellée le 16 janvier à l’occasion de la venue au Maroc du ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, qui a été reçu par le roi Mohammed VI, avant de s’entretenir avec son homologue marocain, Salaheddine Mezouar. Les deux chefs de la diplomatie ont ainsi rendu public un communiqué commun qui jette les bases d’une nouvelle relation entre les deux pays. "Plus que nos liens fraternels, nous sommes unis par la guerre contre le terrorisme qui menace tout le monde arabe", résume, depuis Le Caire, Badr Abdel Atti, porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
L’impératif de la lutte commune contre le jihadisme a fini par prévaloir.
Outre la réaffirmation par l’Égypte de son soutien au plan d’autonomie proposé par Rabat pour mettre fin au conflit du Sahara, trois engagements ont été pris par les deux partenaires : la consolidation de la coopération sécuritaire régionale, la promotion d’un islam modéré à travers un rapprochement entre l’université d’Al-Azhar et des instances islamiques marocaines, et la création d’un lien économique fort entre les sociétés portuaires du canal de Suez et de Tanger Med. Trois nouveaux axes de coopération – sécuritaire, religieux et économique – qui montrent que l’impératif de la lutte commune contre le jihadisme a fini par prévaloir.
Amitié arabe entretenue par Gamal Abdel Nasser
La profondeur des relations historiques entre les deux pays n’est plus à démontrer. C’est depuis l’Égypte que les nationalistes maghrébins, alors soudés contre le colonisateur français, ont lancé, dans les années 1940, les premiers appels à la résistance sur les ondes de la célèbre station de radio Sawt al-Arab ("la voix des Arabes"). La première structure de coordination maghrébine a été créée en 1947 dans un quartier populaire du Caire sous le nom de Bureau du Maghreb arabe. Nulle part ailleurs on aurait pu voir Bourguiba, Ben Khedda, Ben Bella, Allal El Fassi ou Abdelkrim El Khattabi deviser ensemble tranquillement.
Cette amitié arabe, qui a éclos au Caire, sera entretenue par Gamal Abdel Nasser (1956-1970), qui, contre toute attente, continuera de voir dans Mohammed V un roi libérateur. L’appel du Caire de 1953 destiné à soutenir le monarque marocain après sa déposition a été préparé par Allal El Fassi et Nasser. "Pour Nasser, Mohammed V était le père de la nation marocaine. Il changera de position avec Hassan II, qui a choisi l’ouverture vers l’Occident", explique le journaliste Lahcen Laassibi, spécialiste des relations égypto-marocaines.
La rupture entre Nasser et Hassan II sera consommée dès 1963, au moment de la guerre des Sables. L’Égypte prend alors fait et cause pour l’Algérie à grand renfort de soldats, dont un certain Hosni Moubarak, qui sera même capturé par les Marocains. Pendant dix ans, malgré la médiation de certains leaders arabes, les relations entre les deux pays ne dépasseront plus le stade protocolaire.
Le Maroc : un allié mais aussi un concurrent
C’est Oussama al-Baz, conseiller diplomatique d’Anouar al-Sadate (1970-1981) et très proche du Maroc, qui sera l’artisan de la réconciliation égypto-marocaine dans les années 1970. Hassan II n’hésitera d’ailleurs pas à envoyer ses soldats soutenir l’Égypte dans la guerre israélo-arabe de 1973. Les relations entre les deux pays resteront au beau fixe sous le règne de Hosni Moubarak (1981-2011), qui avait gardé Baz comme conseiller.
Pour une Égypte qui cherche à récupérer son leadership arabe au plus fort de la terreur jihadiste, le Maroc est un allié mais aussi un concurrent.
"Les récentes offensives médiatiques égyptiennes, que les Marocains imputent à un rapprochement algéro-égyptien, répondent en réalité à d’autres enjeux", estime Lahcen Laassibi. Pour une Égypte qui cherche à récupérer son leadership arabe au plus fort de la terreur jihadiste, le Maroc est un allié mais aussi un concurrent. Les deux pays partagent en effet une expertise sécuritaire et religieuse qu’ils "vendent" en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. En d’autres termes, Marocains et Égyptiens utilisent la même monnaie d’échange pour attirer les précieux financements du Golfe nécessaires à leur survie. Or, quand on chasse sur les mêmes terres, il y a fatalement un risque de clash.
Pilule amère pour le PJD
Le 7 juin 2014, le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), au pouvoir au Maroc, priait pour que Mohammed VI n’envoie pas son leader, Abdelilah Benkirane, assister à la cérémonie d’investiture d’Abdel Fattah al-Sissi. Prière entendue ! C’est Salaheddine Mezouar, le chef de la diplomatie, qui a représenté le royaume, épargnant au chef du gouvernement une poignée de main qu’il aurait ressentie comme une humiliation.
Depuis, Benkirane s’est bien gardé de commenter la situation politique égyptienne de peur de commettre un impair diplomatique. Mais jusqu’à quand ? Si la visite du président égyptien au Maroc, à l’invitation du roi Mohammed VI, se confirme, Benkirane et tous les ministres PJD seront bien obligés de se plier au protocole et d’accueillir avec les honneurs Abdel Fattah al-Sissi. Le coeur n’y sera assurément pas, mais ils finiront par faire avec. Comme toujours.
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