Afrique du Sud : la séparation entre les riches et les pauvres vue du ciel
À l’aide d’un drone, le photographe américain Johnny Miller survole l’Afrique du Sud pour dénoncer les inégalités qui rongent toujours le pays, vingt-deux ans après l’abolition de l’apartheid.
« Il faudrait être aveugle pour ne pas voir les townships de part et d’autre de la route qui conduit à l’aéroport », lance Johnny Miller, installé au Cap (sud) depuis plus de cinq ans. Mais, « à force, on s’y habitue, jusqu’à l’ignorer », poursuit l’auteur de la série Unequal Scenes. Pour le photographe âgé de 35 ans et originaire de Seattle, l’idée est simple : prendre des lieux communs et renverser la perspective pour dénoncer les inégalités qui traversent la société sud-africaine.
Le problème est bien connu. Mais vu du ciel, à 200 mètres voire 300 mètres de hauteur, le contraste est (encore plus) frappant. Entre, d’un côté les étendues de toits de tôle qui forment les baraquements des townships où s’entassent plusieurs dizaines de milliers d’individus, et de l’autre, les villas avec jardin et piscine et les rues verdoyantes des banlieues huppées de la péninsule. À l’image du township de Nomzamo où vivent 60 000 habitants et la ville littorale de Strand, à une quarantaine de kilomètres à l’est du Cap.
Survoler les « buffer zones »
Quelques centaines de mètres à peine séparent les deux mondes. C’est ce qu’on appelle les « buffer zones », ces espaces vides laissés en friche qui servent de frontière. Comme celle qui sépare le township de Masiphulele et les résidences qui bordent le lac Michelle, l’une des riches localités environnant le célèbre pic Chapman, à une trentaine de kilomètres au sud du centre-ville du Cap, qui offre une vue idyllique sur l’océan.
C’est au Cap, et dans une moindre mesure à Durban, dans l’est du pays, que les inégalités sont les plus marquantes, selon le photographe. Dans la capitale de la province du Kwazulu-Natal, Johnny Miller a déniché sans doute l’un des exemples les plus cyniques de la série : des baraquements informels installés en plein milieu du golf Papwa Sewgolum, au nord-ouest de Durban. Caché par une épaisse rangée d’arbres, le township n’est qu’à quelques mètres du trou n°6 du parcours.
Débuté mi-avril, le projet a vu le jour en moins de trois mois. Les drones peuvent voler jusqu’à un kilomètre de distance en zone rurale, et 600 mètres en ville compte tenu des interférences. « Chaque vol demande beaucoup de préparation », commente Johnny Miller, à commencer par le repérage des lieux, phase du projet sur lequel cet ancien étudiant en anthropologie à l’Université du Cap accorde beaucoup de temps.
À Johannesburg, le photographe américain a rencontré plus de difficultés. Il a notamment saisi au vol l’autoroute M1 qui relie la ville à Pretoria, la capitale administrative. Il y a moins d’un kilomètre d’écart entre le township d’Alexandra où Nelson Mandela vécu pendant un an en 1941, et la banlieue très chic de Sandton, principal centre d’affaires où siègent la bourse de Johannesburg et nombre d’entreprises venues s’installer dans les années 1990, villas, hôtels de luxe ainsi que le plus grand centre commercial du pays. L’indice le plus frappant est sans doute le nombre d’arbres, révélateur du fossé entre les deux univers.
« Les images peuvent être puissantes », commente Johnny Miller, peu surpris de la popularité acquise rapidement par le projet. « Le contexte politique d’incertitude » joue aussi, alors que le régime de Jacob Zuma, embourbé dans plusieurs scandales de corruption, est de plus en plus contesté, explique le photographe qui compte exposer son travail en août prochain à Johannesburg.
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