Mali – Bilal Ag Acherif : « Il faut rendre réelle l’administration du territoire de l’Azawad par les Azawadiens »
Pour la première fois depuis le déclenchement de la rébellion touarègue en 2012, Bilal Ag Acherif, le secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), s’est rendu à Bamako le 20 juin dernier et y est resté plus d’une semaine.
Un an après la signature de l’Accord d’Alger, qui dessinait les contours de la paix entre les groupes rebelles du Nord du pays et le gouvernement malien, il a rencontré les autorités pour continuer d’en préciser la mise en œuvre.
Ce n’est pas le premier voyage dans la capitale malienne du chef de file des représentants des mouvements du Nord (Coordination des mouvements de l’Azawad), puisqu’il y avait déjà séjourné en 2007 et 2010. Mais il a cette fois-ci était reçu à plusieurs reprises et longuement par le chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Une première fois au palais présidentiel pour la rupture du jeûne. Puis une seconde fois, au domicile privé du président, à Sebenicoro, le 25 juin dernier, loin des caméras et de la presse.
Lors de son séjour bamakois, Bilal Ag Acherif nous a reçus pour évoquer ses discussions avec IBK, l’avenir de l’Accord d’Alger, mais aussi la situation dans le Nord et son rapport avec les groupes terroristes qui continuent de faire régner l’insécurité au Mali.
Jeune Afrique : De quoi avez-vous parlé avec Ibrahim Boubacar Keïta ?
Bilal Ag Acherif : Le président IBK m’a vraiment fait l’impression de vouloir donner un nouveau souffle à l’accord de paix. En ce qui me concerne, je lui ai réaffirmé l’engagement que nous avons pris d’aboutir à des résultats significatifs dans l’intérêt des populations du Nord. Le plus important, c’est d’avancer rapidement pour que la situation des gens et des réfugiés s’améliore.
Avez-vous parlé des divergences entre les mouvements que vous dirigez et le pouvoir central de Bamako ?
Oui, nous avons bien sûr parlé du problème politique qui persiste depuis l’indépendance du pays et qui oppose l’État malien et l’Azawad. Les autorités maliennes actuelles ont certes hérité de ce problème. Mais elles le connaissaient et sont également au courant de toutes les solutions qui ont tenté d’être implémentées sans succès jusqu’à maintenant. C’est à elles de trouver aujourd’hui le mécanisme qui permettra une sortie de crise.
On savait qu’il faudrait par la suite négocier des ententes, des arrangements et des compromis.
Quelles ont été vos propositions en la matière au président IBK ?
Il faut d’abord mettre en œuvre intégralement les différents points de l’Accord d’Alger, à commencer par le débat qui doit avoir lieu sur l’appellation Azawad pour désigner les régions du nord du Mali [l’accord suggère qu’on devra reconnaître aux régions le droit d’adopter la dénomination officielle de leur choix, ndlr]. Il faudra ensuite entamer la révision constitutionnelle qui permettra de donner aux populations du Nord une assemblée régionale élue. Il faut que la libre administration du territoire de l’Azawad par les Azawadiens soit une réalité.
Depuis l’Accord d’Alger, deux autres documents ont déjà été signés. Combien d’arrangements spécifiques seront nécessaires pour que l’Accord soit réellement mis en œuvre ?
Cet accord ne donne que des orientations générales. On savait qu’il faudrait par la suite négocier des ententes, des arrangements et des compromis. Il y en aura d’autres…
Vous avez soigneusement évité Bamako ces derniers temps. Votre absence avait été remarquée lors de la signature de l’accord de paix le 20 juin 2015…
Je suis là ce 20 juin 2016 ! [Rires] Il y a un an, je n’étais pas en très bonne forme. Et puis, je devais également prendre le temps de consulter toutes les structures qui composent le MNLA avant d’organiser notre congrès [qui a eu lieu en avril]. Dans son communiqué final, le congrès a clairement appelé le MNLA à respecter l’ensemble des engagements pris dans le cadre de l’accord du 20 juin. Avec ces décisions en mains, je pouvais enfin venir à Bamako.
Certains leaders de mouvements alliés nous disent que c’était une stratégie de retardement…
Disons que ce temps nous a permis aussi de tester l’engagement réel et la volonté des différentes parties à mettre l’accord en œuvre. Ma présence à Bamako n’incarne pas la fin du processus de mise en œuvre de l’accord, mais plutôt son début. Nous considérons que nous en sommes toujours à ce stade.
Le travail du comité doit être ouvert, transparent et démocratique pour que cette future Constitution soit une solution et pas un nouveau problème.
Un comité de révision de la Constitution a été mis en place il y a quelques semaines. Mais il ne comporte pas de représentants des mouvements signataires de l’accord de paix…
La révision de la Constitution est un acquis de l’accord de paix. Il est logique que ceux qui en sont chargés représentent les signataires de cet accord. Si cette représentativité n’existe pas, nous allons nous retrouver avec un résultat non satisfaisant. Mais j’ai bon espoir que cet aspect sera corrigé. Le travail du comité doit être ouvert, transparent et démocratique pour que cette future Constitution soit une solution et pas l’origine d’un nouveau problème.
Que devra contenir la future Constitution ?
Elle devra garantir l’unité du Mali tout en respectant les attentes des différentes parties, c’est-à-dire la gestion par les Azawadiens de leur territoire. Il est également important que la Constitution prenne en compte les pratiques culturelles et religieuses de la population malienne.
Le débat sur la suppression de la laïcité dans la future Constitution a déjà commencé. Êtes vous favorable à cette suppression ?
Il faut placer le mot laïcité dans son contexte et voir s’il a du sens dans notre pays. Ce n’est pas forcément un mot nécessaire dans une Constitution. Il y a des pays démocratiques – et qui sont même l’incarnation de la démocratie – qui n’ont pas inscrit ce concept dans leur Loi fondamentale. On ne peut pas nier l’importance de l’islam dans un pays comme le Mali. Si on parle de laïcité, il faut quand même en tirer une interprétation qui tienne compte de la réalité des pratiques religieuses des Maliens. Cela doit apparaitre dans notre Constitution puisque c’est une réalité de notre pays.
Toutes les maltraitances que nous subissons aujourd’hui sont de la faute de ces terroristes.
Dans votre discours lors du congrès du MNLA, vous avez sévèrement critiqué l’instrumentalisation de l’islam par les groupes jihadistes présents dans la région de Kidal. Ils ont répliqué sur les réseaux sociaux…
Ça m’est égal. Tout le mal que les terroristes pouvaient faire à l’Azawad, ils l’ont fait en 2012. Dans mon discours, j’ai invité les Azawadiens à protéger leur religion et leur pratique religieuse pour que d’autres ne viennent pas se l’accaparer et en faire leur fond de commerce. Toutes les maltraitances que nous subissons aujourd’hui sont de la faute de ces terroristes. Ce sont eux qui ont fait venir les forces internationales qu’ils accusent aujourd’hui d’envahir notre territoire. Ce sont eux qui ont ouvert la porte à l’impunité. Ce sont eux qui font s’entretuer aujourd’hui les fils de l’Azawad. Beaucoup de pauvres gens ont été arrêtés, subissent des représailles ou sont tués, à cause des terroristes.
Nous n’accepterons jamais que l’islam soit utilisé pour justifier la mort de musulmans ou de non-musulmans.
Que faut-il faire pour déradicaliser les jeunes de Kidal qui viennent gonfler les rangs des groupes jihadistes ?
Il faut leur dire par exemple de réfléchir aux réalisations d’Al Qaïda depuis sa création par Ben Laden en 1987. Est-ce qu’Al Qaïda a apporté quelque chose aux pays où le mouvement est né et par lesquels il est passé ? Nous sommes tous musulmans et nous défendons l’héritage du prophète Mohammed. Mais les prêches qui encouragent l’assassinat des femmes ou l’exécution des enfants, il faut les rejeter. Celui qui justifie qu’un enfant de 16 ans aille se faire exploser en tuant d’autres personnes ne peut pas être un exemple pour nous. Nous n’accepterons jamais que l’islam soit utilisé pour justifier la mort de musulmans ou de non-musulmans. Et encore moins pour faire s’entretuer des musulmans.
Avez-vous réellement l’intention de combattre Iyad Ag Ghaly, figure historique du mouvement rebelle touarègue avant de fonder Ansar Eddine, qui vient de Kidal tout comme vous ?
Dans la lutte contre le terrorisme, il n’y a plus de question personnelle qui tienne. Nous sommes face à un fléau global, qui nécessite de s’unir pour le combattre.
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