Brexit : les leçons que les panafricanistes devraient en tirer

Tous les analystes s’accordent à dire que le Brexit est une protestation contre la gestion européenne de la crise migratoire et les institutions de l’Union européenne (UE).

Les présidents Kwame Nkrumah (Ghana, à dr.), Modibo Keïta (Mali, au c.) et Ahmed Sékou Touré (Guinée, à g.). Ils viennent de signer un traité d’Union économique et monétaire entre leurs 3 pays et espèrent en entraîner d’autres avec eux. Ils ont créé le même jour l’U.E.A, l’Union des États africains. © Ghana Information service/Archives JA

Les présidents Kwame Nkrumah (Ghana, à dr.), Modibo Keïta (Mali, au c.) et Ahmed Sékou Touré (Guinée, à g.). Ils viennent de signer un traité d’Union économique et monétaire entre leurs 3 pays et espèrent en entraîner d’autres avec eux. Ils ont créé le même jour l’U.E.A, l’Union des États africains. © Ghana Information service/Archives JA

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  • Alain Nkoyock

    Alain Nkoyock est responsable à l’ONU du Programme de modélisation et d’innovations technologiques d’aide à la lutte contre la corruption et la criminalité financière.

Publié le 1 juillet 2016 Lecture : 4 minutes.

Deux enseignements peuvent être tirés du Brexit par les panafricanistes  : a) l’irresponsabilité et l’iniquité intergénérationnelles, conséquences d’une crise du leadership politique au sein de l’UE et b) les limites de la supranationalité.

Comment se pose la question de l’irresponsabilité et de l’iniquité intergénérationnelles dans sa dimension du leadership politique européen ? Le rapport entre générations paraît présentement susciter peurs, inquiétudes, doutes, légèretés et irresponsabilités. Celles-ci s’inscrivent dans l’émergence d’une conscience temporelle d’origine lointaine dont les prémices sont à chercher dès le début des crises politiques au Golfe persique de 1990-1991 suivies par les destructions de la Libye et les conflits en Syrie et en Afrique subsaharienne.

Le Brexit n’est que le début du chaos marqué par ces temps d’inquiétude, de fortes turbulences, de recompositions démographiques et géopolitiques

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L’irruption en 2014 de l’Organisation de l’État islamique, obsédée par la revanche de l’islam sunnite en Irak et au Proche-Orient, et ses démembrements (Boko Haram, Chabab, etc.) en Europe et en Afrique, est la conséquence directe d’une série de mauvaises décisions politiques : le Brexit du 24 juin 2016 (un choix faiblement majoritaire de 51,89% décidé par la partie vieillissante du peuple britannique) n’est que le début du chaos marqué par ces temps d’inquiétude, de fortes turbulences, de recompositions démographiques et géopolitiques.

Selon les estimations des différents instituts de sondage, 75% des 18-24 ans se sont prononcés pour que leur pays ne quitte pas l’Union européenne. Chez les 25-49 ans, ils étaient 56% à vouloir rester. Et plus les Britanniques vieillissent, moins ils sont en faveur du maintien dans l’Union européenne. 56% des 60-64 ans ont voté pour la sortie du Royaume-Uni. Pour les plus de 65 ans, ils sont 61%.

Vraisemblablement, une des causes de ce clivage, et peut-être la plus importante, est que les jeunes n’ont pas connu leur pays en dehors de l’UE et ne l’imaginent pas ou mal. Quant aux aînés, ils ont connu leur pays avant cet « amalgame » à l’Europe et cette perte de souveraineté, et donc ont plus de raisons d’être nostalgiques de celle-ci. Et peut-être aussi un besoin d’identité plus fort, ou de la retrouver.

Les classes politiques en place dans les différents pays qui constituent l’UE ont renoncé à construire une nation européenne pour les générations futures

Le vrai problème de l’Union européenne, c’est que les classes politiques en place dans les différents pays qui la constituent ont renoncé à construire une nation européenne pour les générations futures, préférant mettre en avant les maigres bénéfices économiques ou pratiques immédiats qu’elle pourrait apporter.

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À rebours de toutes les vaines ruminations sur l’essence du leadership à travers les âges, un des acquis des meilleurs travaux abordant la question du leadership politique, est de sortir d’une vision de la société fondée sur la domination inéluctable des élites sur les masses, élites qui utiliseraient pour cela des techniques universelles, en gros celles subsumées par Machiavel sous des figures diverses, à savoir un mélange de peur, d’inquiétude, de menace, de ruse, d’escroquerie, de séduction et de récompense. Cette observation est valable dans tous les pays y compris africains !

Le Brexit a mis aussi à nu les limites de la supranationalité de certaines institutions bruxelloises au sein de l’UE puisque sa structure institutionnelle, depuis le traité de Lisbonne, est en partie supranationale et en partie intergouvernementale.

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On croyait que l’entrée en vigueur de ce traité le 1er décembre 2009 avait mis fin à la Communauté européenne (CE) en tant qu’entité juridique, sa personnalité juridique étant transférée à l’UE qui en était dépourvue jusque-là. Car la CE était une organisation totalement supranationale réunissant la plupart des États européens et caractérisée par des transferts de compétences importants consentis dans de nombreux secteurs par les États membres.

La question qui se pose maintenant pour les Européens est la suivante : est-ce qu’il est vraiment souhaitable de construire une « nation » européenne ? N’est-ce pas plutôt là que le bât blesse, à savoir que les gens attachés à leur identité ne veulent pas la perdre et souhaiteraient une « Europe des nations », soit un système fédéraliste où les cultures, les sensibilités, les propriétés de tout un chacun soient respectées, tout en créant un « projet commun » respectueux de ces éléments ?

Le groupe de Monrovia mené par Senghor avait imposé aux partisans du fédéralisme (groupe de Casablanca) conduits par Nkrumah cette vision d’une « Afrique des États »

Les historiens se rappelleront que les Africains ont eu à gérer la même problématique avant la création de l’OUA : le groupe de Monrovia mené par Senghor avait imposé aux partisans du fédéralisme (groupe de Casablanca) conduits par Nkrumah cette vision d’une « Afrique des États ».

Pour nous les Africains, le Brexit permet de comprendre que l’analyse de la nature de l’Union à travers le prisme de l’Etat panafricain passe nécessairement par l’étude des compétences (politique étrangère, sécurité commune ou politique monétaire) et des structures institutionnelles (confédération, fédération, organisation internationale ou supranationale, etc.) de celle-ci.

Tout système trop « directif », qui ne tient pas compte des peuples, finit par s’autodétruire, ou imploser.

L’aventure d’une Afrique unie (sous le format de Nkrumah ou celui de Senghor) ne se poursuivra qu’avec l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes d’État (de la trempe de Nkrumah ou Nyerere) qui remplaceraient les leaders politiques de pacotille actuels de la plupart des capitales du continent ! Dès lors, les citoyens africains devront comprendre les enjeux de ce magnifique projet du 25 mai 1963 et s’y impliquer le plus possible. Il appartient donc à l’intelligentsia africaine que nous sommes de susciter le débat, d’interpeller leurs dirigeants politiques et d’expliquer les tenants et aboutissants de cette aventure à nos concitoyens.

L’Union africaine, comme l’Union européenne, se construira dans le respect des spécificités de chacun et de l’identité nationale de chaque peuple, voire de chaque nation. Tout système trop « directif », qui ne tient pas compte des peuples, finit par s’autodétruire, ou imploser.

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