France : quand Michel Rocard dénonçait l’horreur des camps de déplacés en Algérie
Il était l’homme de l’« autre gauche » en France. Mais Michel Rocard, décédé samedi à 85 ans, avait également été un farouche opposant à la guerre d’Algérie. À la fin des années 1950, il avait notamment écrit un rapport très critique sur la gestion des camps de déplacés par l’armée française.
L’ancien Premier ministre français avait pris fait et cause contre la guerre d’Algérie et la colonisation française de ce territoire. Il y prévalait, selon ses propres termes, « une mentalité proche de la ségrégation raciale qui interdisait aux musulmans, sauf exception, l’accès aux fonctions de responsabilités, même mineures, dans leur propre pays».
« Homme de lucidité, de courage et d’engagement, il aura été de ceux qui ont précisément compris que la grandeur de la France allait se mesurer à la capacité de ses dirigeants d’inscrire leur attitude dans la cohérence de l’histoire en allant à la rencontre d’une indépendance que l’Algérie avait gagnée de haute lutte », a notamment écrit Abdelaziz Bouteflika, dans un hommage adressé à François Hollande au lendemain du décès du socialiste.
La mission secrète de l’étudiant Rocard
Il faut dire que Michel Rocard, membre de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière) dès la sortie de l’adolescence, aura fait de la lutte contre la guerre d’Algérie l’un de ses combats qui comptent. En délicatesse avec la ligne du parti de Guy Mollet, qui soutient officiellement les opérations de « maintien de l’ordre » en Algérie, Michel Rocard n’hésite pas à prendre la parole dans les sections militantes réunies dans les arrières salles de cafés parisiens.
Avec Alain Savary et Edouard Depreux, le haut fonctionnaire, qui milite sous le pseudonyme de Michel Servet, participe à la fondation du PSA (Parti socialiste autonome), scission de la SFIO, auquel il adhère en 1958. Étudiant à l’École nationale d’administration (ENA) depuis 1956, inspecteur des finances, il est envoyé en Algérie alors qu’il n’a pas encore trente ans, dans le cadre d’une opération de « renforcement administratif » décidée par le général De Gaulle.
Nous sommes en septembre 1958. Officiellement, Michel Rocard est chargé d’inspecter les transformations foncières dans les régions d’Orléansville, de Tiaret et de Blida. Officieusement, informé par un ami officier, il va toutefois s’intéresser à une vaste opération de déplacement de populations rurales.
« Retirer l’eau pour faire mourir le poisson »
Mise en place par l’armée française afin d’enrayer l’enracinement du Front de libération national (FLN), cette opération répond à une logique simple, adaptée des techniques de guerre asymétriques : « puisque le ‘rebelle’ vit dans la population comme un poisson dans l’eau, il suffit de retirer l’eau pour faire mourir le poisson ».
Michel Rocard rédige alors un rapport dénonçant les camps de regroupement dans lesquels seraient « parqués » deux millions de paysans. Sillonnant l’Algérie pendant plusieurs mois, il découvre que des milliers de personnes sont menacées de famine dans l’ignorance de la population et l’indifférence apparente des autorités civiles et militaires.
Estimant à 200 000, en majorité des enfants, les morts de faim, Michel Rocard remet son rapport le 17 février 1959 à Paul Delouvrier, délégué général du gouvernement en Algérie. Après avoir été transmis à des hauts fonctionnaires, et suite à une fuite au sein d’un cabinet ministériel, le rapport est finalement publié le 17 avril 1959 dans France Observateur, puis le lendemain dans Le Monde, au grand embarras de son auteur, qui craint d’abord pour sa carrière.
« Il a su très tôt capter l’aspiration indomptable à la liberté »
La publication produit un grand choc, jusque dans les hautes sphères de l’État. Cela vaudra même à son auteur, qui gardera toutefois publiquement l’anonymat jusqu’en 1975, l’hostilité du Premier ministre, Michel Debré.
Obligeant les autorités françaises à dévoiler les tenants de l’opération, même si elles évoquent d’abord un complot communiste, l’exposition médiatique va permettre de voir arriver les premiers soins et un acheminement de vivres dans les camps de déplacés. La question sera même évoquée à l’ONU.
D’abord réticent, Michel Rocard est alors convaincu de la nécessité de poursuivre ce travail d’alerte, comme il l’expliquait en 2003. De 1959 à 1961, il transmet à l’Élysée des informations de son ami officier sur les « résultats réels des opérations militaires, sur les bavures militaires, les cas répétés d’exactions ou de tortures ».
« Il a gagné une place de choix dans l’histoire de la France et dans celle d’autres Nations comme la mienne dont il a su très tôt capter l’aspiration indomptable à la liberté », déclarait à son sujet, Abdelaziz Bouteflika, le jour de son décès.
« Rapport sur les camps de regroupement » en Algérie, republié en 2003 sous le nom de Michel Rocard.
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