Tunisie : pourquoi la loi sur l’égalité en matière d’héritage suscite la polémique
Le député de l’Alliance Démocratique, Mehdi Ben Gharbia, a proposé début mai que la loi consacre l’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage. Un sujet sensible qui suscite la polémique. Décryptage.
Que dit le projet de loi ?
Début mai, un groupe de 27 élus, conduit par Mehdi Ben Ghrabia, suscite la controverse en présentant un projet de loi établissant une répartition équitable en matière successorale, sauf accord écrit au préalable. Cette initiative prend en compte l’évolution de la société mais en application de la Constitution de 2014 et des chartes et conventions internationales ratifiées par la Tunisie.
« C’est une ‘loi facultative’ car les héritiers sont libres de l’appliquer ou pas. Nous pensons que les textes sacrés s’adaptent à toutes les époques. Nous nous basons sur l’égalité entre hommes et femmes énoncée dans la Constitution. Nous proposons aujourd’hui cette loi qui n’est pas selon nous, en contradiction avec l’islam mais au contraire en parfaite symbiose avec les textes», a déclaré Mehdi Ben Gharbia à Shems FM.
Le projet de loi permettrait aux familles de gérer les successions selon leurs vœux. Ce que finalement beaucoup, dans les milieux aisés, font déjà par des donations du vivant. Pour les promoteurs de cette initiative, il s’agit d’établir une équité pour les femmes des milieux démunis et rurales en se basant sur « l’ijtihad », un devoir de réflexion et d’interprétation des textes de l’islam.
Quelles ont été les réactions ?
Le premier à s’opposer à cette approche réformiste est Othman Battikh, mufti de la République qui souligne, dans une déclaration publique que l’égalité dans l’héritage est proscrite par la charia et que le texte coranique est clair et a tranché définitivement cette question dans le 11e verset de la sourate« An-Nissa » : « Voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles ».
Aussitôt l’islamologue, Neila Sellini s’est insurgé en déclarant au Huffington Post Maghreb : « Peut-on parler d’un avis vraiment basé sur le Coran ? Sa position, n’est-elle pas que le produit de ce que les anciens exégètes et jurisconsultes ont perçu du Coran? ». Et d’inviter Othman Battikh à un débat public.
Ce projet de loi a également provoqué un tollé immédiat chez les conservateurs. La député d’Ennahda, Yamina Zoghlami a aussitôt estimé « que le moment n’était pas opportun d’autant que c’est un sujet sur lequel surferont les extrémistes » mais l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a quand même lancé la procédure d’examen du projet. Le 1er juillet, la Commission de la santé et des affaires sociales a entamé l’audition des initiateurs du projet mais aussi de ses détracteurs.
Qui soutient le projet ?
Soutenu par des parlementaires du groupe d’El Horra après le retrait des signataires du Front populaire, il a l’appui d’une frange moderniste de la société civile dont celle de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Sa présidente, l’universitaire, Monia Ben Jémia en appelle « à la mobilisation de toutes les forces démocratiques engagées dans la défense des droits humains et des libertés individuelles » tandis que Khedija Cherif, membre de l’ATFD estime que l’argument de l’inopportunité du débat dans le contexte actuel « est insensé et usé depuis les années 1990 par les politiques pour se dérober à cette question ».
Les discussions et les polémiques engendrées par l’égalité en matière d’héritage, ne sont pas nouvelles en Tunisie. En 1956, à la promulgation du Code du statut personnel (CSP), qui octroie les droits les plus larges aux femmes, l’égalité successorale a été le seul point sur lequel les oulémas ont opposé un veto dont Bourguiba a tenu compte.
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