Jean-Serge Bokassa : « L’embargo sur les armes en Centrafrique doit impérativement être assoupli »
Tensions avec les groupes de l’ex-Séléka, coopération avec la Minusca, redéploiement de l’armée, exactions… Jean-Serge Bokassa, ministre de l’Intérieur, revient sur les nombreux enjeux sécuritaires du moment en Centrafrique. Interview.
Jeune Afrique : La Centrafrique est de nouveau en proie aux tensions, notamment au sein des groupes nés de l’éclatement de la Séléka. Comprenez-vous leurs motivations ?
Jean-Serge Bokassa : Comprendre n’est pas accepter. Il y a de la révolte dans le cœur de nombreux compatriotes. Ces groupes ont été tenus en laisse le temps des élections, et comme rien n’a été fait, ils repartent de plus belle. Mais il n’y a pas que le nord, berceau de la Séléka, qui a été abandonné. Quelles régions ne l’ont pas été ? On parle de trois ans de crise, mais c’est bien depuis dix ans que l’on observe les rebellions émerger. Tant que le pays n’aura pas réglé ses problèmes fondamentaux, la gouvernance, la décentralisation, tant que qu’on restera focalisés sur Bangui, on sera toujours sujets à ces crises.
Le président parle avec ces groupes, et je ne suis pas fermé au dialogue. La plupart d’entre eux disent être favorables au DDR (programme de désarmement, démobilisation, réinsertion). Il faudra y arriver, par la force s’il le faut.
La Minusca fait l’objet de nombreuses critiques. Quelle est votre position ?
Ces critiques sont dues au niveau d’exigence des citoyens. Les gens espéraient surtout voir les Casques bleus agir de manière préventive. Mais la Minusca ne peut être partout, le chef de mission l’a d’ailleurs rappelé. Nous voulons l’aider, unir nos efforts aux siens. Cela dit, je vois mal la République centrafricaine s’affranchir de ses tutelles. Nous espérons une coopération plus effective, un regard partagé sur la situation. Si on avait su faire preuve de maturité politique, nous aurions pu éviter cette situation. Nous payons pour nos erreurs.
Vous prônez un redéploiement des forces armées centrafricaines. Quelles en seraient les conditions d’après vous ?
Le gros frein, c’est l’embargo sur les armes. Il doit impérativement être assoupli. À ce stade, il y a même des formations auxquelles nos militaires ne peuvent avoir accès. L’État étant sans moyens de contrainte, plusieurs acteurs sécuritaires émergent dans l’informel, pour leur propre protection. Le secteur sécuritaire est en friche.
Human Rights Watch a d’ailleurs présenté un rapport faisant état d’exactions commises par l’Office central de répression du banditisme (OCRB), une unité spéciale de lutte contre la criminalité. Son directeur, Robert Yékoua-Ketté, a été limogé. Quelle est votre position sur ce rapport ?
Tous les actes dont ce rapport rendent compte ont été commis durant la transition. Ceci étant dit, il y a une question que l’on ne pose pas : sans que cela justifie leur exécution, qui étaient ces personnes ? Quoi qu’il en soit, nous avons mis fin à ce chapitre. Robert Yékoua-Ketté a été limogé avant la publication du rapport, pour être remplacé par un officier de police judiciaire, qui aidera à redorer l’image de cet office qui a souvent créé problème. On a le sentiment que ses directeurs ont tous bénéficié d’une carte blanche, et si l’on compare avec ce qui a pu se passer du temps de Patassé, on a l’impression que Yékoua-Ketté est un enfant de cœur. Ces exécutions sommaires, cela s’est fait durant une très longue période. C’est le système qui les fabrique : s’il n’y a pas de réaction, cela signifie bien que c’est cautionné au sommet…
Le premier bataillon formé par la mission européenne de formation militaire (EUTM) devrait être envoyé à Obo, dans l’extrême sud-est, une zone qui n’a jamais été confrontée au conflit récent et placée sous contrôle américain et ougandais, qui y luttent contre les hommes de Joseph Kony. D’autres zones semblent plus en besoin… Comment expliquez-vous cette décision ?
L’armée ougandaise menace de se retirer d’Obo. Nous négocions pour qu’elle reste encore un peu, sa décision a été assez brusque. C’est dû sans doute aux tensions entre la population et les soldats ougandais [accusés de violences et d’exploitation sexuelles, d’enlèvements et de mariages forcés, NDLR]. En parallèle, l’Ouganda a d’autres crises plus graves à gérer ailleurs. Obo a toujours été marginalisé. Cela peut être l’occasion pour ce premier bataillon de faire ses armes dans une zone moins difficile.
Vous critiquez en creux la gouvernance sous Bozizé, mais vous avez participé à son gouvernement…
Je suis quelqu’un de loyal. C’était ma première expérience gouvernementale. J’aurais pu être plus utile en défendant davantage mes convictions. Tout le système était rattaché à l’homme Bozizé. On aurait pu dire non. La crise nous a permis de mûrir. Aujourd’hui, je veillerai à dire ce que je pense.
Vous comprenez les critiques autour de la formation gouvernementale, composée de nombreux anciens soutiens de Bozizé ?
D’après moi, cela n’est pas le fruit d’un calcul. Le président s’est simplement entouré de gens avec qui il avait l’habitude de travailler. Il a essayé de rassembler : plus de 10% de musulmans sont au gouvernement. D’autres instances vont être mises en place, qui vont offrir de l’espace à de nombreux fils et filles du pays.
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