Ce jour-là : le 16 juillet 1899, les tirailleurs de la colonne Voulet-Chanoine se mutinent
Au plus fort de l’aventure coloniale française, une colonne militaire dirigée par deux capitaines français, Paul Voulet et Julien Chanoine, a pour mission de rejoindre le Tchad. L’expédition sème l’horreur et le désespoir sur son chemin, jusqu’à ce que la troupe, majoritairement composée d’Africains, se rebelle contre ses chefs le 16 juillet 1899.
Dans l’aridité du Sahel, une colonne de l’armée française laisse derrière elle les séquelles d’une cruauté sans égal. L’histoire de cette mission qui porte le nom de ses deux officiers, Voulet et Chanoine, incarne la quintessence de la violence coloniale. À l’image d’un rocher fendu par les canons coloniaux à proximité de Lougou, les sévices et atrocités commis entre l’hiver et l’été 1899 marqueront pour longtemps la mémoire collective des populations qui ont eu le malheur de se trouver sur la route empruntée par la colonne.
Cette colonne infernale qui a mis à feu et à sang une large partie de l’Afrique de l’Ouest à cause de la folie destructrice de deux hommes s’achèvera comme elle s’est déroulée, dans le sang et l’odeur de poudre, mais cette fois-ci par la mort de ses chefs.
La mission : parvenir jusqu’au lac Tchad
C’est dans un contexte de conquête des derniers territoires africains non contrôlés par une puissance européenne et après la cuisante humiliation de Fachoda en 1898 que le gouvernement français, résigné à abandonner son projet initial d’un empire colonial traversant l’Afrique de l’Atlantique à la mer Rouge, décide d’entreprendre l’une de ses dernières expéditions militaro-coloniales.
Pour achever de conquérir ce qu’il reste du « gâteau africain », trois missions coloniales sont mises sur pied avec le but de se rejoindre aux abords du lac Tchad, à Kousséri. La mission saharienne Foureau-Lamy part d’Alger, la mission Gentil, de l’Oubangui-Chari et la mission Voulet-Chanoine, quant à elle, se met en branle en janvier 1899 à Saint-Louis, au Sénégal.
L’épopée de la mort
À la tête d’un peloton militaire comportant huit officiers et sous-officiers français, 50 tirailleurs, 200 tirailleurs auxiliaires, 20 spahis et 700 porteurs, Voulet et Chanoine n’en sont pas à leur première expédition coloniale. En effet, ils se sont déjà illustrés lors de la conquête du royaume Mossi entre 1896 et 1897.
L’avancée vers l’est du continent se fait dans dans des conditions difficiles. La colonne ayant été insuffisamment équipée par l’intendance de l’armée, les officiers ordonnent à leurs hommes de piller sans distinction, afin de pouvoir se ravitailler. Entre viols, mutilations, décapitations, mises en esclavage et assassinats, rien ne sera épargné aux populations rencontrées.
À la tête de leur colonne macabre, Voulet et Chanoine sont hors de contrôle. Ils pénètrent même en territoire sous domination britannique, violant ainsi la convention de 1898 délimitant les zones d’influences ouest africaines entre la France et le Royaume-Uni.
La résistance de la Sarraounia
À la mi-avril, la colonne de la mort s’approche de Lougou, en pays Haoussa. Là, elle se trouve en butte à la résistance farouche des habitants, les Azna, menés par leur « reine-sorcière » appelée la Sarraounia. Plus de 7000 cartouches sont tirées, quatre soldats perdent la vie et six autres sont blessés.
Le personnage de la Sarraounia entre à partir de ce fait d’arme dans la légende et l’histoire nigérienne comme l’une des opposantes les plus pugnaces à la pénétration coloniale ainsi que l’une des seules à avoir infligé des pertes humaines à la colonne infernale.
Paris, 20 avril 1899 : décision est prise d’arrêter la colonne coûte que coûte
Bien que ces atrocités soient commises au fin fond du Sahel, le gouvernement français prend connaissance des exactions de la colonne Voulet-Chanoine. La lettre d’un officier appartenant à la mission, adressée à sa fiancée française et relatant les exactions commises, arrive sur le bureau des plus hautes autorités de l’État. Son contenu vient s’ajouter à des rumeurs déjà existantes relatant la violence sans équivalent de l’expédition. La société française de l’époque a déjà eu l’occasion de prendre connaissance des sévices causés lors des précédentes conquêtes coloniales, toutefois ceux perpétrés par Voulet et Chanoine choquent profondément.
Course-poursuite dans le Sahel
Ordre est donné à Arsène Klobb, le commandant de la garnison de Tombouctou, de rattraper la colonne infernale et de mettre aux arrêts ses responsables. Dans sa course effrénée vers l’est, le lieutenant-colonel Klobb découvre l’ampleur des massacres : des villages brûlés, des corps mutilés abandonnés aux charognards, des enfants pendus aux arbres…
Dans le même temps, Voulet et Chanoine approchent de la ville de Birni N’Konni. Le 8 mai, ils ordonnent au chef de village de leur livrer des centaines de têtes de bétail. Les animaux se trouvant en pâturage au nord, leur demande ne peut être satisfaite. La réponse des français est sans appel : la ville est détruite et tous les habitants, à peu près 10 000, sont massacrés.
14 juillet 1899 : guerre fratricide entre Français
Après 2000 kilomètres de traque, Klobb entre en contact avec la colonne infernale le 14 juillet 1899 à Dankori, aux environs de Zinder. Dans un accès de folie destructrice, Voulet fait ouvrir le feu sur le détachement français. Arsène Klobb est touché mortellement.
Dès lors, la mission militaire prend une tournure s’émancipant de toute logique coloniale : Voulet va jusqu’à déclarer à ses troupes, en arrachant ses galons : « Je ne suis plus français, je suis un chef noir. Avec vous je vais fonder un empire ».
Finalement, en l’espace de 48 heures, les tirailleurs qui formaient la majorité de la colonne militaire mettent fin à cette épopée destructrice. La scène se déroule aux alentours de Maijirgui, au Niger ; les soldats se mutinent puis abattent Chanoine le 16 juillet, et Voulet le 17 juillet.
Les fantômes de Voulet et Chanoine
Après l’assassinat des deux capitaines, ceux-ci sont inhumés à Maijirgui. En 1923, les autorités coloniales décident d’ouvrir les sépultures, pour se rendre compte qu’elles sont vides… Toutes sortes de rumeurs émergent alors. On évoque même la possibilité que Chanoine soit devenu le mystérieux émir blanc du Tibesti qui maîtrisa plusieurs rébellions touaregs en 1916-1917, permettant de préserver la main mise coloniale française sur la région.
En France, pour expliquer la démence des deux officiers, les autorités invoquent la « soudanite », une maladie inventée pour expliquer la difficulté éprouvée par les européens à s’adapter aux climats africains.
L’un des médecins militaires présents dans l’expédition, le médecin-major Henric, révélera par la suite lors de l’enquête parlementaire que Voulet et Chanoine étaient atteints de la syphilis et de méningo-encéphalite, qui eurent pour effet de favoriser leurs accès de démence.
Retrouvez ci-dessous une carte situant de manière exhaustive l’itinéraire de la colonne Voulet-Chanoine de l’hiver à l’été 1899
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