France – Portugal vu d’ailleurs : les Bleus n’ont pas vraiment la cote à Tunis

La finale de l’Euro de football qui opposait l’équipe de France à celle du Portugal était, de loin, le sujet le plus discuté au Maghreb sur les réseaux sociaux le matin du 11 juillet.

Défaite de la France en finale de l’Euro 2016 face au Portugal, le 10 juillet 2016. © Frank Augstein/AP/SIPA

Défaite de la France en finale de l’Euro 2016 face au Portugal, le 10 juillet 2016. © Frank Augstein/AP/SIPA

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 11 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

Comme leurs voisins algériens, les Tunisiens se sont bruyamment réjouis de la victoire des hommes de Fernando Santos, le coach des rouge et vert. « J’ignorais ces liens si étroits de certains Tunisiens avec le Portugal », a ironisé Karim G., un binational franco­-tunisien, sur sa page Facebook.

Constipés, les Bleus de Deschamps ?

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« L’attitude du public tunisien peut se comprendre, explique Moez B., un médecin. En sport, les gens ‘neutres’ ont tendance à afficher leur préférence pour l’équipe supposée être la moins forte, en l’occurrence, le Portugal. Et Cristiano Ronaldo jouit chez nous d’une immense popularité, grâce à son talent mais aussi en raison du soutien qu’il a toujours apporté au peuple palestinien [NDLR : à l’inverse de l’Argentin de Barcelone Lionel Messi, son rival du ballon d’or, régulièrement critiqué pour s’être affiché en compagnie du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou]. L’agression dont il a été victime en début de match n’a fait que renforcer encore le courant de sympathie pour son équipe. »

Soit. Mais pour beaucoup d’internautes, la victoire des Portugais n’a été qu’un prétexte pour célébrer la défaite de Français jugés « arrogants », « suffisants », et outrageusement favorisés par l’arbitrage (le penalty sévère sifflé contre l’Allemand Schweinsteiger en demi­-finale n’a pas fini de défrayer la chronique…). « L’équipe de France ne méritait pas de remporter la Coupe d’Europe. C’est une équipe antipathique et constipée, comme son entraîneur », tranche Meher A., un autre médecin, qui ajoute : « Sa défaite nous aura au moins épargné un nouveau tsunami de chauvinisme ».

Un désamour très politique

En réalité, le désamour dont souffrent les Bleus de l’autre côté de la Méditerranée dépasse largement l’aspect sportif et renvoie au rapport très ambivalent qu’entretiennent les Maghrébins à l’égard de l’ancienne puissance colonisatrice. Certains, comme Ahlem, assument totalement : « L’équipe de France est antipathique parce que la France est antipathique, c’est un fait. À cause de son arrogance, de son passif colonial non-­assumé et de ses récentes erreurs de calcul politiques. Elle n’a pas voulu reconnaître sa responsabilité dans le retard de développement de l’Afrique. En Tunisie, elle a réduit la voilure sur le plan culturel, soutenu ouvertement Ben Ali, puis les islamistes d’Ennahdha. Sa société se replie et rejette manifestement le facteur arabe et musulman. La France est souveraine dans ses choix, mais le Tunisien est souverain dans ses sentiments et l’amour ne se commande pas. » Au passage, le mythe de « l’amitié franco-
tunisienne indéfectible », célébré à longueur de discours convenus par les officiels des deux pays, en prend un sacré coup !

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Certaines publications racistes

Ce French-­bashing intense et parfois jubilatoire, peut aussi relever du racisme le plus primaire. « Les Bleus portent mal leur nom, ils sont presque tous de souche africaine. Ce n’est plus l’équipe de France, c’est l’équipe du Ghana », pouvait­-on lire sur nombre de publications, tout au long de la compétition. Ou comment reprocher à la fois à Didier Deschamps d’avoir « exclu » Karim Benzema et Hatem Ben Arfa pour leur soi-­disant appartenance ethnique, et de faire la part trop belle aux joueurs noirs… Les Tunisiens, qui aiment les paradoxes, ne sont pas à une contradiction près ! L’argument nauséabond de la couleur a été mis en sourdine à l’issue de la finale du 10 juillet : il est vrai qu’Eder, l’unique buteur du match, est lui­-même d’un noir d’ébène.

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Éviter de tomber dans le « syndrome algérien »

Quelques-­uns, à l’image de Yassine R., ont réagi pour remettre les pendules à l’heure et s’indigner de l’inconséquence des attitudes et des propos de certains de leurs compatriotes : « N’importe quoi ! Ca regarde TF1, M6, BFM ou Canal + à longueur de journée, ça passe ses vacances à Paris, et ça s’exprime même dans la langue de Molière pour partager sa joie face à la défaite de l’équipe de France. » Dans la même veine, Tarak T. souligne, avec un brin de méchanceté, que les Tunisiens, qui disent ne pas aimer la France, sont chaque jours des milliers à faire la queue des heures durant pour obtenir un visa au Consulat. Il en appelle à un peu de raison : « L’aide publique française à notre pays est de loin la plus importante, la France est notre premier client, ses universités sont celles qui accueillent le plus d’étudiants tunisiens, y compris à Polytechnique ou à l’ENA. Ne tombons pas dans les travers des Algériens qui continuent, 60 ans plus tard, à attribuer à la France tous les maux dont ils soufrent aujourd’hui. »

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