Sénégal : au procès Karim Wade, Bibo Bourgi seul face à son juge

Jusque-là privé de procès en raison de problèmes de santé, le principal complice présumé de Karim Wade, Bibo Bourgi, est entendu par la CREI depuis mercredi. Devant une salle presque vide et en l’absence du moindre avocat de la défense, l’homme d’affaires aura fort à faire pour convaincre ses juges qu’il n’est pas un homme de paille.

Le palais de justice de Dakar. © DR

Le palais de justice de Dakar. © DR

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Publié le 29 janvier 2015 Lecture : 4 minutes.

"Karim Meïssa Wade est mon ami, et ça s’arrête là." Au deuxième jour de son audition par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), Ibrahim Aboukhalil, alias Bibo Bourgi, résume d’une phrase ce qui constitue l’ossature de sa défense : aucune relation d’affaires n’a jamais lié cet homme d’affaires d’origine libanaise et son "ami d’enfance", Karim Wade. Mis en cause pour "complicité d’enrichissement illicite", Bibo Bourgi est en effet soupçonné par l’accusation d’avoir servi d’homme de paille au fils de l’ancien président sénégalais dans plusieurs sociétés dont il est officiellement l’actionnaire de référence, du domaine aéroportuaire à l’immobilier.

Dès le premier jour de son audition, mercredi 28 janvier, celui dont la comparution à la barre avait été retardée de plusieurs mois en raison de sérieux problèmes de santé – qui l’ont conduit à aller se faire soigner en France – rejetait en bloc l’accusation : "Comment pourrais-je être le prête-nom de Karim Wade ? Qu’est-ce que ce monsieur aurait pu m’apporter ? Un terrain ? Un immeuble ? J’ai un parcours et un patrimoine, pourquoi aurais-je eu besoin de travailler pendant douze ans pour les beaux yeux de Karim Wade, fût-il mon ami ?"

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Ibrahim Aboukhalil est en effet issu d’une famille sénégalo-libanaise parmi les plus fortunées du pays. Les premières pierres de l’empire industriel et commercial familial furent posées des les années 1930 par son grand-père maternel, Abdou Karim Bourgi. Reste à convaincre la Cour que la thèse soutenue par l’accusation et par les avocats du Sénégal est farfelue, ce qui ne s’annonce pas comme une simple formalité pour un homme seul.

Diop fait le show

Suite aux incidents survenus le 14 janvier, c’est en effet un prévenu sans conseil qui affronte le feu roulant des questions du président de la CREI, l’énergique Henri Grégoire Diop. Isolé au premier rang, sur le banc des prévenus, Bibo Bourgi ne peut s’appuyer ni sur ses avocats – qui ont déserté le procès le 20 janvier, à l’instar de tous leurs confrères de la défense, en signe de protestation – ni sur son "ami" Karim Wade, qui boycotte lui aussi les audiences depuis qu’il a été blessé au genou par les gardes pénitentiaires, qui l’avaient amené de force dans le box le 14 janvier.

Loin de l’ambiance survoltée des premiers mois, la salle n°4 du Palais de justice de Dakar fait aujourd’hui penser à un tribunal de province chargé de juger l’auteur d’un accident de la route.

Loin de l’ambiance survoltée des premiers mois, où une salle comble témoignait bruyamment son soutien à Karim Wade à chaque interruption d’audience et où une nuée d’avocats de la défense rivalisait d’ardeur à la barre, la salle n°4 du Palais de justice de Dakar fait aujourd’hui penser à un tribunal de province chargé de juger l’auteur d’un accident de la route. Les rangs du public et de la presse sont aussi dégarnis que les bancs des avocats, où seule une poignée de défenseurs de l’État du Sénégal attendent l’heure de poser leurs questions.

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Depuis deux jours, face à un Bibo Bourgi qui apporte ses clarifications d’une voix blanche et hésitante, manifestement éprouvé par un état de santé encore fragile, le président Diop fait le show – quitte, parfois, à en faire un peu trop. D’un ton comminatoire, il enchaîne les questions, coupant en permanence la parole au prévenu, mettant en doute les précisions qu’il apporte, soupçonnant derrière chaque société créée, chaque marché passé ou chaque nomination d’un DG ou d’un directeur commercial des pratiques occultes destinées à dissimuler un inavouable secret.

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Questions à rallonge

Patiemment, laborieusement, Bibo Bourgi tente de satisfaire son interlocuteur, au risque, parfois, de se perdre face à certaines questions à rallonge: "J’ai perdu le fil, monsieur le président…" Jeudi matin, pendant deux heures, ce dernier a ainsi interrogé Bibo Bourgi sur les liens de partenariat entre deux sociétés intervenant dans le transport de passagers par bus dans les aéroports (ABS SA et ABS Corp.) sans qu’une seule fois le nom de Karim Wade ne soit prononcé. En revanche, au moment d’aborder la question des 29 comptes bancaires identifiés dans un établissement monégasque, dont un seul appartient nommément à Karim Wade mais dont la totalité – qui appartiennent officiellement aux sociétés de Bibo Bourgi et à certains membres de sa famille – lui a été imputée, la Cour ne s’est pas attardée.

"Parfois, les transferts d’argent sur ces comptes proviennent ou bénéficient à des personnes non identifiées", interpelle, circonspect, Henri Grégoire Diop. "Ce n’est pas possible, monsieur le président. Dans une transaction bancaire, il n’existe pas d’opérateur non identifié. C’est l’expert qui n’a pas fait correctement son travail", rétorque Bibo Bourgi, sans pour autant se départir de son ton déférent.

Et lorsque l’intéressé rappelle que la banque Julius Baer de Monaco a fourni à la CREI une attestation indiquant qu’aucun mouvement bancaire n’a jamais été enregistré entre l’un de ses comptes et le moindre compte bancaire appartenant à Karim Wade, le président Diop l’interrompt sèchement. "Vous vous en expliquerez avec le Parquet spécial et les avocats de la partie civile."

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Mehdi Ba, à Dakar

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