Black Lives Matter : « L’élection de Barack Obama a exacerbé le racisme aux États-Unis »

INTERVIEW – Les tensions générées par la mort de deux Africains-Américains à la suite de bavures policières viennent rappeler que le racisme constitue un problème structurel que l’élection de Barack Obama est très loin d’avoir résolu, estime la politologue franco-américaine Nicole Bacharan.

Manifestation pacifique du mouvement BlackLivesMatter après la mort d’Alton Sterling et Philando Castille, en Floride le 11 juillet 2016. © Loren Elliott/AP/SIPA

Manifestation pacifique du mouvement BlackLivesMatter après la mort d’Alton Sterling et Philando Castille, en Floride le 11 juillet 2016. © Loren Elliott/AP/SIPA

Publié le 12 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

L’assassinat de Michael Brown, un adolescent noir, par un policer blanc en août 2014 à Ferguson et les émeutes qui ont suivi avaient déclenché un vif débat sur les questions raciales au sein de la société américaine. Il avait même été envisagé de réformer les forces de l’ordre en réponse aux violences policières contre les Noirs et les minorités dans leur ensemble. Après un temps d’accalmie, des vagues de protestation renaissent consécutivement à la mort de deux Afro-américains, Alton Sterling – Louisiane – et Philando Castille – Minnesota -, tués par des policiers. À quelques mois de la fin du second mandat de Barack Obama, premier président noir de l’histoire, la société américaine se rend compte que la question raciale, qui empoisonne la vie politique et sociale du pays, n’est toujours pas réglée.

Jeune Afrique : Qu’est-ce qui explique la recrudescence des violences policières aux États-Unis ? Malgré les événements de Ferguson, rien ne semble vraiment évoluer dans le bon sens…

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Nicole Bacharan : Les mêmes événements se sont toujours produits. Dans un passé encore récent, seule la parole du policier comptait. L’opinion était rarement au fait de ces violences. Le plus souvent, elles étaient classées sans suite sauf lorsqu’il y avait de grandes mobilisations, comme par exemple lors de l’assassinat d’Amadou Diallo – jeune immigré guinéen abattu dans le Bronx le 4 février 1999 par des policiers -. Mais aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, on ne peut plus faire semblant. Tout le monde voit.

La médiatisation de ces événements via notamment les réseaux sociaux fait-elle vraiment bouger les lignes ?

Après les événements de Ferguson, le département de la justice a entrepris des mesures telles que l’évaluation des méthodes de la police pour voir ce qui allait et n’allait pas. Certaines sanctions ont été prises. On commence à exiger – ce n’est pas encore le cas – que les policiers portent des caméras sur leurs uniformes. On veut réévaluer à la fois leur entraînement et leurs équipements qui sont de nature militaire. Mais tous ces changements restent encore marginaux.

Rares sont les policiers auteurs de ces crimes à être inquiétés. Pourquoi un tel laxisme de la justice?

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Les condamnations sont très difficiles à obtenir parce qu’il y a malheureusement une très vieille histoire de préjugés vis-à-vis des Noirs. La justice reste encore inéquitable. L’autre aspect, c’est que la police américaine travaille dans des conditions extrêmement difficiles dans un pays où circulent plusieurs centaines de millions d’armes. Il y a tous les ans des policiers assassinés dans l’exercice de leurs fonctions. Pour les juges, sanctionner des policiers est une manière d’affaiblir la police. Ce qui explique qu’au moindre doute, les policiers sont relaxés, comme dans l’affaire Freddie Gray.

Il ne suffit pas que le président parle et propose des réformes pour que le comportement de la police change

Pourquoi Obama, en tant que président noir, a-t-il échoué sur ce plan ?

Il a consacré peu d’efforts sur cette question durant les premières années de sa présidence. Maintenant qu’il s’y penche, depuis les événements de Baltimore, l’opinion comprend qu’il ne suffit pas que le président parle et propose des réformes pour que le comportement de la police change. Il s’agit d’une question très profonde à la fois dans l’histoire, dans la psychologie et les méthodes de la police. C’est un problème structurel que même un président de bonne volonté ne peut pas régler aussi facilement.

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Le fait qu’il soit noir a-t-il constitué un frein ?

Un pays qui a été en mesure d’élire Barack Obama n’est pas majoritairement raciste. Mais son élection a exacerbé les questions raciales. On n’a jamais vu autant de mouvements fascisants et de mouvements de suprématie blanche. Jamais il n’y a eu autant de méfiance dans les cercles conservateurs à l’égard d’un président. De son côté, il s’est efforcé d’être le président de tous les Américains pour ne pas être accusé de mener un programme uniquement adressé à la communauté noire. Aussi a-t-il fait preuve d’une prudence que je qualifierais d’excessive.

Hillary Clinton est plus tranchante sur les questions qui lui importent

Hillary Clinton, si elle est élue à la Maison Blanche, peut-elle réussir là où son prédécesseur a échoué ?

L’une des qualités de Hillary Clinton est d’être beaucoup plus tranchante et directe sur les questions de société qui lui importent. Son militantisme de longue date en faveur des femmes et des enfants et contre la circulation des armes dans tous ses excès, peut l’amener à agir avec plus de fermeté. Mais même elle aura des difficultés car il ne s’agit pas simplement de lois ou de mesures politiques mais d’un travail profond à la fois sur l’entraînement et la psychologie de la police.

 © Nicole Bacharan, chercheur associée à la Hoover institution de l’Université de Stanford (Californie). DR

© Nicole Bacharan, chercheur associée à la Hoover institution de l’Université de Stanford (Californie). DR

Pensez-vous que les réponses apportées sur ce sujet par Hillary Clinton et Donald Trump seront les éléments déterminants pour remporter l’élection présidentielle ?

La perception de la population sur la manière dont chaque candidat va aborder les questions économique, sociale et de sécurité internationale sera déterminante. Un candidat comme Donald Trump est perçu, dans ses déclarations, à tort ou à raison comme étant raciste. Il est très difficile de soutenir un tel candidat sans être d’une certaine façon favorable au racisme.

Pour les récentes fusillades, une enquête fédérale a été ouverte là où normalement des investigations locales sont réalisées. Faut-il y voir la volonté de l’administration centrale d’éclaircir l’affaire ?

Absolument. L’enquête fédérale relève de la compétence du FBI, qui dépend de Washington. C’est une démarche à la fois du département de la justice et de la police fédérale. Elle intervient quand on a le sentiment que le crime commis dépasse le cadre d’une affaire locale.

Pour peser dans le débat, BlackLivesMatter doit encore franchir un cap

On assiste depuis  à des manifestations de grande envergure contre les violences policières. Comment l’Amérique peut-elle résoudre efficacement la question de la discrimination raciale ?

La majorité des Américains est profondément choquée par ce qui se passe. Ce sont des méthodes d’intervention qui ne sont pas tolérables dans une démocratie. On a parcouru du chemin depuis l’esclavage, la ségrégation raciale… Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour changer les mentalités dans certains domaines, notamment la police et la justice. Il faudrait arriver à trouver un équilibre. S’il faut prendre en considération les conditions de travail difficiles de la police (stress, risques encourus), on ne peut pas non plus leur garantir l’impunité pour leurs bavures. Même en cas de danger, un policier devrait arriver à se protéger sans mettre en péril la vie de son adversaire. La légitime défense ne peut pas donner droit aux abus.

Les mouvements comme BlackLivesMatter peuvent-ils peser dans le débat américain ? Ont-ils un réel impact sur la société américaine?

L’utilité évidente de ce genre de mouvement est de continuer à répandre les images et les vidéos qui constituent des preuves incontestables. Par contre, c’est un mouvement qui souffre, comme beaucoup de mouvements sociaux en Europe, du manque d’organisation. Un mouvement qui se veut citoyen, spontané, circulant par les réseaux sociaux, sans autorité, ni hiérarchie, entièrement horizontal où chacun s’exprime. Pour avoir un réel impact, il faut accepter à un moment être un mouvement politique – pas au sens d’un parti – qui est capable d’être représenté, de parler et de s’exprimer auprès des élus, des départements de police. BlackLivesMatter n’a pas encore franchi ce cap.

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