UA : pour une action en faveur de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique

Cette tribune est une lettre ouverte des mouvements de la jeunesse africaine engagée aux chefs d’État et de gouvernement africains. Elle est co-signée par le mouvement citoyen de la RD Congo Lucha, et par une vingtaine d’organisations prodémocratie africaines (voir ci-dessous).

La « photo de famille » du 26e sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba le 30 janvier 2016. © AFP/Tony Karumba

La « photo de famille » du 26e sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba le 30 janvier 2016. © AFP/Tony Karumba

Fred-Bauma
  • Fred Bauma

    Directeur au GEC (Groupe d’Expert pour le Congo) à New York, Etats-Unis, Activiste de droits humains et militant au sein du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUCHA)

Publié le 14 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

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Nous, jeunes activistes et militants des mouvements citoyens africains, acteurs, partenaires et atouts incontournables pour le développement durable de nos pays et de notre continent, prenons l’initiative de vous adresser la présente à l’occasion du 27e Sommet de l’Union africaine qui se tient à Kigali au Rwanda, du 10 au 18 juillet 2016, et dont le thème est « Année africaine des droits de l’homme, avec un accent particulier sur le droit des femmes ».

À chaque tournant de l’histoire du continent, la jeunesse a toujours joué un rôle déterminant, grâce à son énergie et son idéalisme. Au moment de la décolonisation, ce furent des jeunes qui, désireux de façonner l’avenir de leurs nations, décidèrent de s’engager dans différentes formes de lutte qui ont permis à la plupart de nos États d’accéder à la souveraineté nationale et internationale. C’est à la fleur de leur jeunesse que les pères de l’indépendance nous ont conduits à l’émancipation. Malgré les soubresauts des premières années des indépendances et l’émergence de leaders égocentriques à la tête de la plupart de nos États, ce furent encore les jeunes, parmi lesquels certains sont de votre génération, qui défièrent les régimes autoritaires. C’est encore les jeunes qui, au plus fort de la lutte contre l’apartheid, payèrent de leur sang le prix de la liberté.

C’est encore les jeunes soldats et même enfants soldats qui payèrent de leurs vies le prix de vos victoires

Durant la même période, un recours généralisé à la violence à travers des coups d’État, des rebellions et des insurrections a miné le continent et conduit à l’accession de certains d’entre vous au pouvoir. C’est encore les jeunes soldats et même enfants soldats qui payèrent de leurs vies le prix de vos victoires.

Ces méthodes, les faits le démontrent aujourd’hui, n’ont pas permis à nos États de prospérer sur la voie de la paix, de la démocratie et du développement quoique plusieurs mouvements rebelles avaient la prétention d’apporter aux peuples la paix, la démocratie et le développement. Au contraire, ces méthodes ont servi à instaurer la culture de l’impunité, à avaliser la violence comme mode d’accès au pouvoir, à sur-militariser nos États au profit des détenteurs du pouvoir ; à ralentir le développement de nos populations ; à affaiblir les mécanismes de protection et de promotion des droits de l’homme au profit des systèmes judiciaires répressifs ; à détruire le rêve démocratique, voire à faire resurgir les velléités dictatoriales en faisant émerger des hommes forts au détriment des institutions fortes et stables.

Il est dommage de relever l’apparition récente d’un syndrome de changement des lois fondamentales au profit des chefs d’État au pouvoir

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Si, au sortir des guerres civiles et des déchirements multiformes, plusieurs États ont franchi le cap de l’adoption des premières constitutions et de la tenue des premières élections pluralistes et plus ou moins démocratiques, il est dommage cependant de relever l’apparition récente d’un syndrome de changement des lois fondamentales au profit des chefs d’État au pouvoir qui veulent, pour pérenniser leurs régimes, faire sauter les verrous constitutionnels qui les en empêchent. Ces démarches s’accompagnent souvent d’une répression systématique de toutes les voix qui osent s’élever contre les tentatives de blocage de l’alternance politique pacifique et d’autres formes de violation des droits de l’homme. Ce syndrome déplorable et anachronique constitue une survivance des méthodes autocratiques qui tentent de résister à l’air du temps. C’est dans la foulée de ces phénomènes que sont nés nos mouvements.

Excellences,

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Mesdames et Messieurs,

Le combat de nos mouvements s’inscrit dans la continuité de celui des pères fondateurs de l’Afrique libre. Le défis de la décolonisation ayant été relevés par les pères de nos indépendances, celui de la relative pacification de nos pays et de leur dotation d’ordres démocratiques assis sur des constitutions démocratiques ayant été relevés par votre génération, nous avons, pour l’intérêt général de nos populations, le devoir de consolider les acquis de nos jeunes démocraties et de préserver nos lois fondamentales comme gages d’un développement harmonieux.

En effet, la paix et la stabilité de nos pays dépendent souvent du respect des compromis politiques issus des accords ayant mis fin à des crises de légitimité. Aussi, les constitutions de la plupart de nos États étant les fruits des compromis politiques, toute forme de remise en cause de celles-ci dans le but de maintenir certaines personnes au pouvoir aura pour effet, non seulement de mettre en mal ce compromis politique mais surtout de recréer les conditions des nouvelles confrontations aux conséquences néfastes pour nos populations. La crise que traverse le Burundi aujourd’hui illustre mieux ces risques redoutés.

Au-delà de ce besoin de paix et de stabilité de nos États, le changement des constitutions ayant pour seul but le maintien au pouvoir de certains individus constitue un recul avéré de nos États dans leur marche vers leur développement.

Dans l’agenda 2063 de l’Union Africaine, l’Afrique projetée est celle où règnent la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme et la justice. Jeter en pâture les ordres démocratiques mis en place au prix des rudes et nobles sacrifices serait condamner les générations futures à un perpétuel recommencement et à un cycle de violence sans fin.

Nous nous battons pour une seule fin : éviter à nos populations la récession fatale en matière de démocratie avec tout le lot des malheurs qui va avec

C’est ce fatalisme et cette résignation à une situation de fait non-satisfaisante que nous refusons. C’est pour préserver l’ordre démocratique dans nos pays respectifs que nous luttons. De l’Angola au Sénégal, en passant par la République Démocratique du Congo, le Tchad, le Burkina Faso, l’Ethiopie, l’Egypte, la Tunisie, le Burundi ou le Congo-Brazzaville, nous nous battons pour une seule fin : éviter à nos populations la récession fatale en matière de démocratie avec tout le lot des malheurs qui va avec. Nous refusons de faire de notre génération une caste passive de toutes les velléités anti-démocratiques au profit des individus véreux.

De ce Sommet consacré aux droits de l’homme, nous attendons de vous :

  1. Une réaffirmation de votre attachement aux principes démocratiques, de bonne gouvernance, d’égalité de genre, du respect des droits de l’homme, de la justice et de l’État de droit ;
  2. Une réaffirmation de l’importance capitale de la participation politique des jeunes notamment par les élections régulièrement organisées, transparentes et apaisées ;
  3. Un engagement à condamner et sanctionner les modifications intempestives des constitutions et coups d’État constitutionnels dans le but de maintenir au pouvoir certains individus ;
  4. La reconnaissance du rôle des jeunes dans les nombreuses luttes pour une Afrique plus digne et une condamnation de l’utilisation de jeunes comme une caisse de résonance de certains dictateurs, à l’instar de l’actuelle Union panafricaine de la jeunesse ;
  5. Un appel ferme à mettre fin à la répression dont sont victimes les jeunes à travers le continent et dans les pays où la voie vibrante et pacifique de la jeunesse est muselée ;
  6. La création d’un espace d’expression citoyenne libre pour les mouvements citoyens à travers l’Afrique.

En tenant en considération ces recommandations, vous honorerez ainsi la mémoire des pères fondateurs et héros dont Patrice Emery Lumumba, Kwame Nkurumah, Modibo Keita, Julius Nyerere, Nelson Mandela et Thomas Sankara. Sans cela, vous ne ferez que renforcer l’image collée à l’Union comme étant un syndicat de dictateurs africains.

Les signataires de cette lettre ouverte :

  • Lucha (RD Congo)
  • Association Al Khatt (Tunisie)
  • Inkyfada.com (Tunisie)
  • Jaridaty.net (Tunisie)
  • #Sassoufit (Congo-Brazzaville)
  • Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) (Guinée)
  • Article57 (Togo)
  • ABCI (Association des Blogueurs Côte d’ivoire)
  • Le Réseau des Blogueurs (Sénégal)
  • PACT (Tchad)
  • Coalition Trop c’est trop (Tchad)
  • Coalition ça suffit (Tchad)
  • ZAYRAH Africa (Afrique du Sud)
  • Y’en A Marre (Sénégal)
  • Algérie-Focus (Algérie)
  • Envoyés Spéciaux Algériens (Algérie)
  • Africtivistes
  • Sunu2012 (Sénégal)
  • Balai Citoyen (Burkina Faso)
  • Filimbi (RDC)
  • African Youth Movement (Tunisie)
  • Central Angola 7311 (Angola)
  • Yaga Burundi (Burundi)
  • Internet Sans Frontières

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