En Afrique de l’Ouest francophone, il faut rompre avec les constitutions molles

Je suis surpris de constater à quel point beaucoup de cadres de ma génération sont convaincus que la démocratie comme système politique n’est pas adaptée à la culture africaine, au niveau de développement des pays africains et ne permet pas de produire les types de dirigeant et de gouvernance qu’exigent les défis actuels et futurs de nos pays.

L’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, à Abidjan. © DR

L’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, à Abidjan. © DR

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 15 juillet 2016 Lecture : 5 minutes.

La solution, disent nombre d’entre eux, c’est le « modèle Kagamé », un système politique à mi-chemin entre démocratie contrôlée et autoritarisme éclairé qui a donné des résultats économiques et sociaux remarquables au Rwanda après le traumatisme du génocide.

Même si on écarte les réserves qui peuvent être formulées sur les limites, les zones d’ombre et les coûts en termes de libertés individuelles et collectives du modèle Kagamé, la question que je pose à mes interlocuteurs est toujours la suivante : avez-vous donc une recette pour cloner Monsieur Paul Kagamé et propulser ses répliques à la tête de chacun des pays africains où sévit une mauvaise gouvernance spectaculaire ? Tant que je n’aurai pas un début de réponse satisfaisant à cette question, je continuerai à plaider pour des modèles alternatifs : des systèmes politiques démocratiques conçus pour répondre aux besoins immédiats et futurs des populations africaines.

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Les pays africains ont autant besoin d’États efficaces que de démocratie

Les admirateurs du président Kagamé ont raison au moins sur un point : la consolidation de la démocratie, si elle ne s’accompagne pas de la construction parallèle d’États organisés, efficaces dans la production de services publics et capables d’exercer une autorité légitime sur l’ensemble de leur territoire, est une voie sans issue. Les pays africains ont certes besoin de démocratie authentique, mais ils ont aussi un besoin vital d’État. Ils ont besoin de cadres institutionnels capables de préserver les pays des catastrophes sécuritaires, économiques et sociales, même lorsque se retrouvent à leur tête des chefs d’État démocratiquement élus qui se révèlent désastreux.

La faiblesse congénitale de ces constitutions réside dans le fait qu’elles sont trop peu détaillées et trop peu contraignantes

C’est pour cela que le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Mali, qui sont tous engagés dans des processus de révision ou de réécriture constitutionnelle doivent saisir cette opportunité pour opérer une rupture historique avec les constitutions « molles ». Les lois fondamentales actuelles des pays d’Afrique francophone ne sont pas mal écrites ou scandaleuses dans leur substance. Leur faiblesse congénitale réside dans le fait qu’elles sont trop peu détaillées et trop peu contraignantes. Elles proclament des principes remarquables de démocratie, d’État de droit, d’équilibre de pouvoirs, de liberté, d’égalité et de respect de la diversité mais laissent une marge d’interprétation et de manœuvre immense aux acteurs politiques pour tordre le cou à ces principes dans la pratique.

Les indications données par les gouvernants actuels dans les quatre pays cités plus haut vont dans le bon sens, celui d’une consolidation des systèmes démocratiques par un meilleur équilibre des pouvoirs. Au Bénin, le nouveau président Patrice Talon va jusqu’à proposer l’instauration d’un mandat présidentiel unique, ce qui serait une innovation majeure présentant cependant autant de risques que d’avantages théoriques. En Côte d’Ivoire, il est question de créer un poste de vice-président et un Sénat. Au Mali, la révision constitutionnelle est imposée dans une large mesure par certaines dispositions de l’Accord de paix qui exigent un approfondissement de la décentralisation. Au Burkina Faso, on imagine que les objectifs de la révision constitutionnelle sont aussi nobles et visent notamment à réduire la toute puissance du pouvoir présidentiel.

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Des constitutions de deuxième génération pour encadrer les acteurs politiques

Dans des contextes où les élections sont corrompues à des degrés variables par la puissance de l’argent, du clientélisme et de la manipulation politique des identités, il n’est tout simplement pas raisonnable de compter sur les compromis négociés par les acteurs politiques pour réguler la société dans le sens de l’intérêt général simplement parce qu’ils auront été élus. C’est pour cela que les constitutions sont cruciales non seulement pour affirmer des principes et des valeurs mais aussi pour encadrer strictement les décisions des gouvernants, des élus et de tous ceux qui exercent une fonction publique par un ensemble cohérent d’institutions et de règles.

Il s’agit d’empêcher l’ancrage définitif de pratiques politiques qui ont déjà gravement fragilisé les États et qui finiront par enterrer l’idéal démocratique

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Les citoyens des pays francophones devraient se mobiliser en urgence pour exiger des constitutions de « deuxième génération », qui intègreraient des propositions novatrices conçues comme des réponses aux plus grandes dérives de la gestion du pouvoir et des États observées pendant les 25 dernières années. Dans tous les pays concernés, les propositions suivantes devraient être mises sur la table et soumises à un processus de débats publics :

  • L’encadrement du pouvoir de nomination des chefs d’État aux plus hautes fonctions civiles et militaires par l’instauration d’une procédure de confirmation par le Parlement, ou d’institutions nouvelles du type Conseil de la République, les personnes proposées par le président pour occuper de hautes fonctions devant obligatoirement passer par des audiences publiques
  • La clarification dans la Constitution de la distinction entre les fonctions qui relèvent directement du pouvoir politique de celles de l’administration publique et du secteur parapublic qui devraient être exclusivement soumises aux règles régissant le service public
  • La mise en place d’un cadre institutionnel, d’incitations et de sanctions visant explicitement à réguler les activités des partis et des acteurs politiques, avec une attention particulière à la transparence des sources de financement des activités politiques
  • Le renforcement de l’apprentissage de la culture démocratique et de la participation citoyenne par la création d’une institution indépendante et constitutionnelle en charge de la consolidation de la démocratie qui aurait pour mandat de conduire des campagnes permanentes d’éducation civique et d’organiser des débats annuels décentralisés sur les grands thèmes de l’action publique (éducation, santé, sécurité, politique économique, protection de l’environnement)
  • La mise en place d’un cadre cohérent global de lutte contre la mauvaise gestion des ressources publiques et contre la corruption par le renforcement de toutes les institutions de contrôle de l’utilisation des ressources publiques qui doivent faire l’objet de dispositions précises dans la constitution.

Il n’y a aucun risque à ouvrir un débat décentralisé et ouvert sur ces pistes de réforme, plutôt que d’élaborer hâtivement des projets de révision constitutionnelle et d’annoncer la tenue rapide de référendums. Dans chacun des quatre pays, le débat sur les réformes institutionnelles devrait être l’occasion de faire le véritable bilan de la démocratisation. L’enjeu est vital. Il s’agit d’empêcher l’ancrage définitif de pratiques politiques qui ont déjà gravement fragilisé les États, encouragé la corruption, stimulé les replis identitaires et qui finiront par enterrer l’idéal démocratique.

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