Maroc : l’Union africaine amputée depuis trop longtemps
*Cet édito a été publié le samedi 16 juillet dans le numéro 2897 de Jeune Afrique.
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 20 juillet 2016 Lecture : 4 minutes.
C’est un problème africain important. Mais comme il nous accompagne depuis trente-deux ans, nous nous y sommes adaptés, sous-estimons ses effets néfastes et ne nous préoccupons plus de lui trouver une solution.
Réunis actuellement en sommet à Kigali, les chefs d’État africains et leurs ministres des Affaires étrangères l’auront évoqué en coulisses, mais auront sans doute estimé qu’ils ne pouvaient s’en saisir.
Pourquoi le feraient-ils alors qu’il les divise et que la plupart de leurs citoyens ne l’ont même plus à l’esprit ?
J’espère que vous m’approuverez de l’exhumer car, je le répète, il est important et handicape l’Union africaine dans son ensemble.
Vous verrez qu’il est très difficile à résoudre. Mais pas insoluble.
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Le 12 novembre 1984, le Maroc décida de quitter avec fracas l’Organisation de l’unité africaine (OUA), dont il était un membre fondateur. Il ne rejoignit donc pas l’Union africaine (UA), qui succéda à l’OUA en 2002 et regroupe en son sein les cinquante-quatre États du continent, constitués ou non, contestés ou pas.
Sauf le Maroc, pays millénaire de 35 millions d’habitants dont le PIB et le PIB par habitant sont les cinquièmes du continent.
Cette décision a été prise en réaction à celle de l’OUA d’admettre comme membre à part entière la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Elle exprimait le refus absolu du royaume du Maroc de cohabiter avec un territoire artificiellement constitué en État, qu’il occupe en bonne partie et dont il estime qu’il aurait dû lui revenir entièrement en 1976, lors de sa décolonisation par l’Espagne.
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Admise au sein de l’OUA en février 1982, puis de l’Union africaine, la RASD est aujourd’hui reconnue comme État par un pays africain sur trois (dix-huit, au total). Et par dix-neuf pays non africains.
Voisine et grande rivale du Maroc, l’Algérie a été déterminante pour obtenir ce résultat et maintenir la RASD en vie.
Celle-ci vient de se doter d’un nouveau président en la personne de Brahim Ghali. Il succède à Mohamed Abdelaziz, décédé, qui aura occupé la fonction pendant quarante ans – un record.
Elle continuera d’exister tant que l’Algérie la tiendra à bout de bras et que l’ONU, qui prône un référendum d’autodétermination qu’elle ne parvient pas à organiser parce que le Maroc ne se prête pas au jeu, ne cherchera pas plus efficacement une porte de sortie à ce « stalemate ».
On évalue la population totale de la RASD à 600 000 personnes, et son PIB en pouvoir d’achat à 900 millions de dollars.
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Nous en sommes donc là depuis plus de trente ans. C’est anachronique et même honteux : l’Algérie et le Maroc sont dans une situation comparable à celle de la France et de l’Allemagne au XIXe et au XXe siècle (première partie).
Entre les deux grands pays africains, qui totaliseront bientôt cent millions d’habitants et disposent de budgets militaires démesurés, cette forme de « guerre froide » – avec fermeture de la frontière – dure depuis quarante ans (1976).
La présence de la RASD dans l’Union africaine empêche le Maroc d’y adhérer. Du coup, cette union qui se veut continentale est donc amputée d’un des plus grands et plus anciens pays du continent.
Elle est privée de sa participation humaine et financière : la cotisation annuelle de ce pays à l’Union africaine aurait été d’environ 1,5 million de dollars par mois.
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Imagine-t-on l’Union européenne sans l’Espagne ? Les Européens auraient-ils accepté pendant plus de trente ans que l’Espagne soit absente de leurs rangs et remplacée par Gibraltar ou Andorre ?
Certainement pas.
Leur diplomatie et celle de leur grand allié américain se seraient mises en branle pour sortir leur continent de l’impasse où il se serait mis.
Pourquoi l’ONU s’est-elle contentée de gérer le conflit au lieu de s’employer à le résoudre ? Ses secrétaires généraux successifs, parmi lesquels deux Africains, Boutros Boutros Ghali et Koffi Annan, n’auraient-ils pas dû tout faire pour trouver une solution ?
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Vieux de quarante ans, ce problème n’est insoluble qu’en apparence. Il ne l’est que parce que les intéressés acceptent de vivre avec ses inconvénients, quelle que soit leur gravité.
Il est donc nécessaire et suffisant que les chefs d’État de l’Algérie et du Maroc, et les responsables de la RASD, la première à souffrir de la situation, décident en leur âme et conscience qu’ils n’ont plus le droit de persévérer dans une si mauvaise voie. Et que leur devoir est de chercher une issue avec la volonté de la trouver.
Il ne se passera rien et le problème demeurera inchangé tant que n’interviendra pas un tel changement stratégique.
Si, en revanche, ils en arrivent à penser, comme vous et moi, que « quarante ans c’est assez », le changement deviendra possible. Des pays voisins et amis, des institutions, africaines ou non, pourront tenter de les y aider.
Je leur suggère le schéma d’un premier compromis que le prochain président de la Commission africaine pourra mettre en œuvre après l’avoir travaillé et amélioré.
Les parties concernées montreraient ainsi qu’elles ont la volonté de sortir de la guerre froide pour entrer dans une ère d’entente et de coopération. Du même coup, elles résoudraient le problème que l’absence du Maroc pose à l’Union africaine.
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Pour qu’un tel compromis soit possible, il faudrait que l’Algérie et la RASD acceptent que cette dernière, tout en restant nominalement membre de l’Union africaine, soit en suspens et s’abstienne de participer à ses réunions pour une durée indéterminée.
Le Maroc se contenterait de cette demi-mesure et rejoindrait l’Union africaine en tant que membre.
Simultanément, le Maroc et l’Algérie s’engageraient à diminuer pendant cinq ans, à partir de 2018, leurs budgets militaires d’un pourcentage – à négocier – de l’ordre de 10 % par an et se mettraient d’accord pour la réouverture de leur frontière commune.
La désescalade serait ainsi engagée et un climat nouveau serait créé.
Ceux qui y auront présidé s’apercevront que pour trouver la voie du salut, il convient parfois de « faire le contraire de ce qu’on a fait pendant trop longtemps ».
Quarante ans, c’est assez !
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