Burkina Faso : polémique autour de moustiquaires contrefaites

La justice burkinabé a lancé le 14 juillet un appel à témoignages dans une enquête portant sur des moustiquaires imprégnées non-conformes distribuées à grande échelle par deux sociétés privées en 2010.

Selon les normes de l’OMS, la moustiquaire doit conserver sa véritable action biologique sans nécessiter de nouveau traitement à la suite d’au moins 20 lavages et de trois années d’usage. © Charles Rondeau/publicdomainpictures.net

Selon les normes de l’OMS, la moustiquaire doit conserver sa véritable action biologique sans nécessiter de nouveau traitement à la suite d’au moins 20 lavages et de trois années d’usage. © Charles Rondeau/publicdomainpictures.net

Publié le 22 juillet 2016 Lecture : 4 minutes.

Les sociétés burkinabè Liz-Telecom/Azimo et Distribution générale du Faso (Disgefa) sont visées par une procédure judiciaire. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Ouagadougou a annoncé le 14 juillet dernier avoir saisi un juge d’instruction pour l’ouverture d’une information judiciaire contre trois personnes.

L’une d’elles, Malamine Ouédraogo, directeur général de la société Liz-Telecom/Azimo est le fils de la richissime femme d’affaires burkinabé Alizéta Ouédraogo, belle-mère de François Compaoré, le frère cadet de l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré.

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Aucune information n’est disponible pour l’instant sur l’identité des responsables de Distribution générale du Faso (Disgefa) éventuellement poursuivis dans cette affaire. Cette entreprise, spécialisée dans la distribution de matériel médical, est dirigée depuis les années 2000 par Oumarou Ouédraogo.

Deux tiers des moustiquaires distribuées n’étaient pas conformes aux normes.

Liz-Telecom/Azimo et Distribution générale du Faso (Disgefa) ont décroché en 2009 – sous le régime de Blaise Compaoré – un vaste marché de distributions de moustiquaires imprégnées subventionné à hauteur de 27 millions d’euros par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme auprès du Programme d’Appui au développement sanitaire (PADS), rattaché au ministère burkinabè de la Santé.

Enquête internationale

En prévision de la campagne nationale 2010 de prévention contre le paludisme, le PADS procède à un appel d’offres international en octobre 2009 pour la fourniture de moustiquaires imprégnées, conformes aux normes (WHOPES) – le système d’évaluation de l’OMS pour les pesticides des moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée.

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Liz-Telecom/Azimo et Disgefa n’étant pas des fabricants de moustiquaires, mais des distributeurs, « étaient tenus au préalable d’obtenir une autorisation à soumissionner d’un fabricant certifié « , précisent les autorités burkinabé.

Les deux sociétés privées, qui ont obtenu respectivement de l’agrément d’une société thaïlandaise et d’une autre indienne, remportent le marché.

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Liz-Telecom/Azimo, filiale du groupe d’Alizéta Ouédraogo créée au tournant de cette décennie, a ainsi remporté un contrat de près de neuf millions d’euros pour environ deux millions de moustiquaires à fournir. La société Disgefa s’est, elle, vue octroyer un contrat d’un peu plus de trois millions d’euros pour environ 900 000 moustiquaires.

Mais les questions concernant la qualité des moustiquaires distribuées aux populations a conduit le bureau de l’inspection générale du Fonds mondial et celui de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) – dont une partie des fonds a financé le PADS – à diligenter une enquête en 2012.

Selon les normes OMS, la moustiquaire doit conserver sa véritable action biologique sans nécessiter de nouveau traitement à la suite d’au moins 20 lavages et de trois années d’usage. Selon les conclusions de cette enquête internationale adressées aux autorités burkinabé fin 2015, deux tiers des moustiquaires distribuées n’étaient pas conformes aux normes WHOPES et provenaient de Chine, plutôt que des pays indiqués par les distributeurs.

La société Liz-Telecom/Azimo, qui avait présenté au PADS des factures pour l’achat de 1 876 433 moustiquaires imprégnées recommandées par l’OMS, n’aurait commandé que 50 000 moustiquaires conforme au cahier des charges. Le rapport indique également 100 000 moustiquaires non conformes fournies par Disgefa.

Remboursement

Dans son rapport adressé à l’État burkinabé, le bureau de l’inspection générale du Fonds mondial conclut que « la structure et le cahier des charges d’appel d’offres du PADS avaient permis à des soumissionnaires moins expérimentés de remporter des contrats entraînant la livraison de moustiquaires de mauvaise qualité. »

Les autorités locales ont été priées de rembourser la somme de 9 millions d’euros, correspondant au prix d’achat des moustiquaires contrefaites. L’État s’est engagé à rembourser la somme demandée mais souhaiterait éclaircir l’affaire.

« Une enquête est en cours au niveau de la justice et devrait situer les responsabilités de chaque partie », a expliqué à Jeune Afrique le garde des Sceaux burkinabè René Bagoro qui récuse l’unique responsabilité de l’État burkinabé. « Il faut, se défend, le ministre de la Justice, un avis de non objection des bailleurs de fonds avant de lancer une quelconque commande ».

« L’affaire remonte et il s’agit d’identifier les faits non-prescrits », explique notre source.

C’est ce que reconnaît en filigrane le rapport de l’inspecteur général du Fonds mondial : « Le secrétariat permanent du Fonds n’a pas exercé un suivi suffisant du récipiendaire principal lors de son approbation de l’appel d’offres du PADS. »

Mais, nuance le rapport de l’inspecteur général, « le secrétariat ne disposait pas non plus d’un mécanisme permettant de renforcer le suivi, notamment en exigeant l’examen et les conseils d’un expert en passation de marchés pour des achats de grande valeur, tel que l’appel d’offres du PADS ».

Selon une source judiciaire au tribunal de grande instance de Ouagadougou, l’instruction en cours contre les trois personnes visées dont Malamine Ouédraogo, permettra de déterminer les faits à retenir à leur en contre. « L’affaire remonte et il s’agit d’identifier les faits non-prescrits », explique notre source.

En octobre 2015, dans le cadre de cette même enquête, le bureau du procureur des États-Unis pour le district de New-York a aussi déposé une mise en accusation contre le directeur de Liz-Telecom/Azimo, Malamine Ouédraogo, pour stratagème frauduleux visant à obtenir un paiement en échange de moustiquaires contrefaites.

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