Matières premières : des milliards de dollars d’exportations africaines évanouies dans la nature
C’est ce que met en avant un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement consacré aux fausses factures dans l’import-export de matières premières, rendu public samedi. Les cas du cacao en Côte d’Ivoire ou des hydrocarbures au Nigeria sont notamment passés au crible.
Contrebande, évasion fiscale, limitation des taxes douanières, contournement des lenteurs administratives… les raisons sont multiples et mal connues, mais les pays africains exportateurs de matières premières peuvent perdre jusqu’à deux tiers de recettes et de taxes du fait de fausses factures.
C’est ce qu’il ressort d’un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced), rendu public le samedi 16 juillet, en amont de la 14e session de la conférence qui se se tient à Nairobi jusqu’au 22 juillet.
Des écarts très significatifs entre les chiffres des pays exportateurs et ceux des pays importateurs.
« Ce travail de recherche fournit de nouveaux détails sur la magnitude du problème, rendu encore pire par le fait que les budgets d’éducation et de santé de certains pays reposent intégralement sur leurs exportations de matières premières », a commenté Mukhisa Kituyi, le secrétaire général de la Cnuced.
Ainsi, en exploitant la base de données onusienne Comtrade, qui recense les flux commerciaux mondiaux par pays et par produit depuis 1962, la Cnuced a constaté des écarts très significatifs entre les exportations recensées par les pays exportateurs et les importations comptabilisées par les pays importateurs.
C’est le cas en Côte d’Ivoire (le cacao pour la période 1995 – 2014), au Nigeria (les hydrocarbures entre 1996 – 2014), en Afrique du Sud (or, argent, platine, fer, 2000 – 2014), ou en Zambie (cuivre de 1995 – 2014), dont les exportations avec leurs principaux partenaires économiques ont été passées au peigne fin.
Alors que dans des conditions de laboratoire, « la valeur d’exportation devrait être équivalente à la valeur d’importation, dans les faits, les données révèlent des écarts significatifs entre les deux valeurs », est-il noté dans le rapport, préparé par Léonce Ndikumana, professeur d’origine burundaise à l’université américaine du Massachusetts, sollicité par la Cnuced pour la rédaction de ce rapport.
Les décalages constatés entre ces valeurs sont de très loin supérieurs à ceux liés aux frais de transport et de douane.
31,8 milliards de dollars de cuivre zambien disparus
Dans le détail, ce sont par exemple 4,9 milliards de dollars qui ont été surfacturés en Côte d’Ivoire sur la période 1995-2014 dans le commerce de cacao avec les Pays-Bas, soit environ 248 millions de dollars par an, selon le rapport de la Cnuced. Environ « 29 % des exportations ivoiriennes [vers les Pays-Bas] n’apparaissent pas dans les comptes hollandais », soit du fait de failles de comptabilité, soit du fait de la contrebande, indique encore le rapport.
Les fausses factures sont un canal important de fuite des capitaux.
Inversement, ces exportations sont par ailleurs marquées par une large sous-facturation, notamment dans les échanges avec les États-Unis, l’Allemagne, la France ou la Belgique qui comptent parmi les premiers partenaires du pays d’Afrique de l’Ouest pour le cacao.
En Zambie, l’écart est encore plus criant en ce qui concerne le cuivre exporté vers la Suisse. Là, constate la Cnuced, ce sont 31,8 milliards de dollars d’exportations qui ne sont recensées nulle part par les autorités helvétiques. « Il serait important d’enquêter sur la destination effective du cuivre zambien, qui est enregistré comme exporté vers la Suisse, et qui n’arrive pas dans ce pays », note sobrement le rapport. Et ainsi de même pour le pétrole nigérian, l’argent et le platine sud-africains…
Pour la Cnuced, la très large prépondérance des sous-facturations dans les données qu’elle a compilées « montre que les fausses factures sont un canal important de fuite des capitaux » en-dehors des pays exportateurs. « En Afrique du Sud, les données officielles font état de petites quantités d’or exportées alors que des montants très significatifs apparaissent dans les comptes des pays partenaires », note le rapport, concluant dans ce dernier cas à de « la contre-bande pure et simple ».
Quant aux remèdes à appliquer, la Cnuced se montre pour le moins prudente, renvoyant à des enquêtes ultérieures et à un contexte plus large, et largement médiatisé, d’évasion fiscale. La question de la qualité des données enregistrées dans les pays de départ reste également posée.
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