Stephen Cockburn : « Il règne un climat politique exceptionnel en Gambie »
Après la condamnation du leader de l’opposition gambienne à trois ans de prison, Stephen Cockburn d’Amnesty International revient sur le procès et l’atmosphère de contestation qui règne dans le pays à l’approche des élections.
Mercredi 20 juillet, 19 personnes ont été condamnées chacune à trois ans de prison ferme en Gambie. Parmi elles, des rivaux de l’autocrate Yahya Jammeh, dont Ousainou Darboe, le leader de l’UDP (United Democratic Party), le principal parti de l’opposition, qui devait concurrencer le maître de Banjul lors de l’élection présidentielle de décembre prochain. À cinq mois du scrutin, quelle est la situation dans le pays ? Éléments de réponse avec Stephen Cockburn, directeur adjoint d’Amnesty International pour l’Afrique de l’ouest.
Jeune Afrique : Pourquoi Ousainou Darboe et ses alliés de l’UDP ont-ils été condamnés à trois ans de prison mercredi ?
Stephen Cockburn : Ils ont été condamnés pour avoir participé à des manifestations non-autorisées et pour incitation au complot. Les faits qu’on leur reproche remontent au 14 et au 16 avril derniers.
Que s’était-il passé ?
Le 14, l’UDP a appelé les Gambiens à manifester contre la réforme de la loi électorale que mène Yahya Jammeh et pour une fois, la population a osé descendre dans la rue. Ils n’étaient pas très nombreux, quelque centaines à Banjul, mais c’est tellement rare, le pays est si verrouillé, que c’est très significatif pour la Gambie. La manifestation était pacifique, mais la police a quand même procédé à des dizaines d’arrestations qui ont mis la foule très en colère. Les gens ont manifesté à nouveau le 16 pour protester contre ces arrestations arbitraires et contre la mort en détention de Solo Sandeng, un cadre de l’UDP arrêté deux jours plus tôt. C’est là qu’Ousainou Darboe, le leader de l’UDP et 19 de ses soutiens ont été arrêtés puis condamnés. Nous n’avons pas d’informations plus précises, mais nous savons que 25 autres personnes au moins sont encore en attente de jugement.
Qu’est-ce que Yahya Jammeh voulait changer dans la loi électorale ?
Une foule de petits détails pour décourager ou empêcher ses adversaires de le concurrencer. Il voulait instaurer des frais de participation très élevés pour pouvoir se présenter. Il avait aussi fixé des années auparavant la limite d’âge à 65 ans, mais Ousainou Darboe a désormais 67 ans et ne peut pas se présenter. C’est contre tout cela que les manifestants se battaient, ils voulaient aussi plus d’indépendance de la commission électorale chargée de surveiller le scrutin.
Comment s’est déroulé le procès ?
Les accusés n’étaient pas défendus, ils n’ont pas cherché à le faire d’ailleurs car ils n’ont aucune confiance en la justice du pays. Ils ont simplement répété que la Constitution gambienne garantissait le droit de manifester.
La question maintenant est : quelle va être la réaction de la Cedeao aujourd’hui ?
Où vont-ils être incarcérés ?
Sûrement à Mile 2, la plus grande prison du pays [connue pour ses conditions de détention très dures, NDLR]. Après, difficile de dire dans quel partie de l’établissement. S’ils sont envoyés dans le quartier de haute-sécurité, ils pourraient être torturés par les policiers et les agents de la National Intelligence Agency [les services secrets gambiens, NDLR]. Ils n’auront pas ou très peu de visites de leurs familles ou de leurs avocats. On a recueilli beaucoup de témoignages d’anciens détenus confirmant ces pratiques. Mais c’est très difficile d’en savoir plus.
À cinq mois du scrutin, dans quel état se retrouve l’opposition ?
L’UDP, qui est le principal parti d’opposition, se retrouve décapité. Après, il existe d’autres partis d’opposition, certains sont crédibles mais il est difficile d’en savoir plus sur eux.
Quelles peuvent être les conséquences de ces arrestations arbitraires sur la population ?
Soit cela entretient le climat de peur qui tétanise les Gambiens, soit cela attise leur colère. Il faut être conscient du caractère exceptionnel du climat politique actuel en Gambie. Pour la première fois, une partie de la population s’est mobilisée politiquement et publiquement. Dans un rapport que nous avons publié il y a un mois, nous le constatons très clairement : les arrestations alimentent la contestation. Mais d’un autre côté, les gens ont peur du système de surveillance qui s’est développé en Gambie. La population, les journalistes, les artistes, tout le monde a peur d’être suivi, écouté. Un vrai changement peut venir de l’extérieur, en revanche. Après les manifestations, la Cedeao avait appelé Banjul à dialoguer avec l’opposition sans utiliser la force. La question maintenant est : quelle va être sa réaction aujourd’hui ?
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