« Couleurs tropicales par Claudy Siar », la compil qui dépasse le mur du son
La compilation concoctée par Claudy Siar pour les 20 ans de son émission Couleurs tropicales sur RFI offre un voyage irrésistible dans le meilleur de la musique africaine de ces deux dernières décennies.
Il y a, de temps en temps, des disques qui franchissent le mur du son, qui ont une portée dépassant leur simple contenu. C’est logiquement le cas du triple album, « Couleurs tropicales par Claudy Siar », sorti il y a un mois, à l’occasion des 20 ans de l’émission musicale phare de RFI. Le succès de ce rendez-vous radiophonique quotidien, à l’échelle d’un continent, de toute une jeunesse éprise d’idéal et très vite baptisée par son animateur vedette, Claudy Siar, « génération consciente » (Ah, le gimmick « Toi-même, tu sais ! »), ne se démentira pas. « Couleurs tropicales » s’est imposé comme l’irrésistible « boosteur » de tubes, de courants musicaux ou d’artistes, façon Radio Caroline, cette station pirate au large des côtes britanniques qui décupla la révolution rock londonienne des années 1960.
Trois Cds donc, qui semblent se regarder un peu en chiens de faïence, comme en un jeu de miroirs où le temps, cette éternelle coquette, est à même de constater ses mutations. Le premier présente les derniers tubes de 2015-2016, dont l’indépassable « Coller la petite » de Franko mais sans le hit « Selfie » de Koffi Olomide ; le second est consacré aux stars propulsées en 20 ans par l’émission, de Youssou N’Dour à Fally Ipupa ; le troisième, enfin, porte sur les nouvelles valeurs sures de la chanson africaine, des Togolais de Toofan au Guinéen Tanaka Zion.
D’un côté, le souci du social ; de l’autre l’éloge du bonda
Entre les artistes de la première et de la seconde galette, 20 ans globalement, une génération. Et quel fossé ! D’un côté, « Mangercratie » de Tiken Jah Fakoly, l’illustre chanson-manifeste pour une autre Afrique ; de l’autre « Le monde est beau » ( no comment !), ode coupeuse-décaleuse à l’enjaillement, à l’éclatement du bouger-danser d’une nuit. D’un côté, le souci du social, voire du sociétal comme dans « Premier Gaou » du Magic System ou « La différence » de Salif Keïta ; de l’autre l’éloge du bonda, du fessier, des seins qui tombent ou pointus comme chez Franko. D’un côté, le sempiternel « miaulement » du zouk symbolisé par « Besoin d’amour » de l’Antillaise Nesly ; de l’autre, la chanson subtilement féministe face au monde testotéroné du mâle local que fut, en 2000, « J’ai déposé les clés » de la Guadeloupéenne Jocelyne Labylle (l’histoire d’une fille qui quitte son homme pour quelqu’un d’autre !).
Et si la scène musicale africaine se coulait, elle aussi, dans le moule implacable de la mondialisation libérale et de l’individualisme triomphant ?
Et quand on pense que la vedette gabonaise Pierre Akendengue faillit tomber en syncope, un jour, dans le studio de « Couleurs tropicales » lorsqu’un journaliste participant à l’émission asséna qu’il rêvait de mourir en plein orgasme ! On assiste à la fin du célèbre dicton : « En Afrique, on fait l’amour, on n’en parle pas. » Aujourd’hui, on ne fait que ça… le chanter je veux dire ! Tout glissement progressif vers l’obscénité est permis depuis quelques années. Désormais, on appelle un sexe un sexe et on lâche entre autres, à l’instar d’un Koffi Olomidé dans « Selfie », « Ekotite, Ekotite ! », « C’est pas entré ! » en lingala (expression utilisée pour signifier, à Kin, que le ballon n’est pas dans le but, mais Koffi se moquant du football comme de sa première conquête féminine….).
Même le hip-hop, porteur jadis de valeurs subversives comme chez Awadi, Smockey, Krotal ou Lexxus Legal n’est pas épargné ! Fini le regard ironique et légèrement condescendant des b-boys africains aux messages conscients sur leurs « collègues » français ou américains ! Ainsi, le groupe ivoirien Kiff’n Beat proclame dans son tube « Tu es dans pain » « On a de belles bitchs ! ». Merci pour leurs copines ! Et nombre de jeunes femmes, comme cette animatrice d’une télévision africaine bien connue sur une piste de night-club à Abidjan, entre deux reportages, de danser et de chanter à tue-tête : « et maintenant coller la petite »… sans y voir malice ! L’on a déjà oublié que le Camerounais Franko était à l’origine un rappeur. Sans doute évoquer les défis sociaux de l’Afrique et la chape de plomb morale et sexuelle sous laquelle elle vit parfois n’est plus à la mode…. Et si la scène musicale africaine se coulait, elle aussi, dans le moule implacable de la mondialisation libérale et de l’individualisme triomphant ?
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