UA – Maroc : vers la fin d’une aberration
De l’indifférence au réengagement, en passant par le contournement : ainsi a évolué l’attitude de l’État marocain vis-à-vis de l’institution panafricaine depuis le sommet fatidique de Nairobi, en 1982, jusqu’à celui qui vient de s’achever trente-quatre ans plus tard, à Kigali.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 29 juillet 2016 Lecture : 4 minutes.
Meurtri par la décision de ses pairs d’admettre en leur sein la « république » sahraouie à l’issue d’une féroce bataille diplomatique perdue face à l’Algérie, Hassan II avait jusqu’au bout affiché un évident mépris à l’égard de ce qui s’appelait alors l’OUA, dont il qualifiait les réunions au sommet de « conférences tam-tam ».
Lorsque le roi décède, en 1999, le Maroc s’est largement coupé de ses racines subsahariennes au profit de la quête, passablement illusoire, d’une insertion au sein de l’espace euroméditerranéen. Cette stratégie apparaît très vite comme une impasse aux yeux de son fils et successeur, lequel nourrit par ailleurs un tropisme africain dont son père était dépourvu.
Pendant quinze ans, Mohammed VI va s’employer à contourner l’OUA, devenue UA en 2002, en additionnant les tournées africaines, les accords de coopération économique, les aides humanitaires, l’envoi de troupes au sein des contingents onusiens, l’encouragement des hommes d’affaires marocains et l’investissement du champ religieux.
Politique patiente et payante, puisqu’elle se traduit par un retournement progressif de majorité au sein même de l’UA (les pays qui reconnaissent encore officiellement la RASD y sont désormais minoritaires), bien au-delà du bloc traditionnel des amis du Maroc qui, à l’instar du Sénégal, du Gabon, de la Côte d’Ivoire et du Burkina, militent depuis des années pour une remise en question du statut d’un État qui n’existe que sur le papier.
La liste des 28 signataires de la motion de suspension de la RASD « des activités de l’UA et de tous ses organes » déposée le 18 juillet est à cet égard significative : y figurent quinze pays francophones, mais aussi la Libye, le Soudan, l’Érythrée, deux pays lusophones et une demi-douzaine d’anglophones.
Sans doute n’est-ce pas un hasard si la décision de rejoindre l’UA survient peu de temps après le décès de Mohamed Abdelaziz, et au moment où l’exécutif algérien semble affaibli du fait de la maladie du président Bouteflika.
Reste que, face à une UA dont la présidence de la Commission et les principaux bailleurs de fonds (Afrique du Sud et Algérie particulièrement) sont toujours perçus à Rabat comme hostiles, la politique de la chaise vide et de la diplomatie par procuration a fini par rencontrer ses limites. « Le Maroc n’a pas demandé à intégrer l’UA, c’est lui qui a été sollicité, assure une source proche du Palais. Nos amis nous ont demandé de les aider à nous aider en menant la bataille là où elle se déroule, c’est-à-dire au cœur de l’UA. Il s’agit d’anticiper et d’être proactifs. »
Sans doute n’est-ce pas un hasard si la décision de rejoindre l’UA survient peu de temps après le décès du « lider maximo » du Polisario, Mohamed Abdelaziz, et au moment où l’exécutif algérien semble affaibli du fait de la maladie du président Bouteflika. En annonçant un retour non conditionné par l’expulsion préalable de la RASD, le Maroc compte relancer une dynamique favorable qui pourrait à moyen terme déboucher sur une nouvelle motion – opérationnelle celle-là – de suspension de l’entité sahraouie réunissant plus des deux tiers des voix des États membres, soit huit voix de plus que celle du 18 juillet.
A priori, l’obstacle est loin d’être insurmontable. Le royaume, qui a pris soin d’assortir sa ratification de l’acte constitutif de l’UA d’une réserve explicite selon laquelle sa participation aux activités de l’organisation ne pourra en aucun cas être considérée comme une acceptation de l’existence de ce qui est à ses yeux un État fantoche, considère son retour comme « le premier pas vers la correction d’une aberration ».
Sans doute, mais il y faudra encore du temps, tant la bataille procédurale qui va désormais s’ouvrir s’annonce complexe. Si l’élection du Sénégalais Abdoulaye Bathily à la présidence de la Commission de l’UA à l’occasion de son prochain sommet serait un bon signe pour la diplomatie marocaine, il va de soi que le groupe des pays déterminés à maintenir la RASD au sein de l’Union n’a aucune intention de lui faciliter la tâche.
Si l’on exclut les neutres par conviction ou par nécessité – comme la Tunisie, l’Égypte, le Mali, le Niger, le Tchad, le Rwanda ou le Cameroun –, ils sont une petite dizaine, décidés à se battre jusqu’au bout, dont quelques poids lourds : l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Angola, l’Éthiopie…
Conscient du fait que sa présence à un sommet de l’UA à quelques sièges de celui qu’occuperait un certain Brahim Ghali, le nouveau chef du Polisario, serait aussitôt interprétée par les séparatistes sahraouis comme une victoire, le roi Mohammed VI devrait donc attendre que le temps de la suspension soit venu pour y faire son apparition. Après trente-deux ans de séparation, l’heure des retrouvailles entre l’organisation panafricaine et l’un de ses fondateurs historiques n’est pas encore tout à fait venue.
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