Soweto : sur les pas de Matisse, des enfants « peignent avec des ciseaux »

L’instituteur n’en revient pas : « On se bat d’habitude pour la discipline, mais là, il n’y a pas un bruit ». Ses 64 élèves sont absorbés par leurs collages à la façon de Matisse, pendant un atelier consacré à cet artiste français dans cette école défavorisée du township de Soweto.

Des élèves lors d’un atelier consacré à Matisse, le 20 juin 2016, dans une école défavorisée de Soweto. © Mujahid Safodien/AFP

Des élèves lors d’un atelier consacré à Matisse, le 20 juin 2016, dans une école défavorisée de Soweto. © Mujahid Safodien/AFP

Publié le 24 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

Dans la salle de classe en briques rouges, la liste des voyelles et celle des écoliers chargés du ménage sont scotchées aux murs, à côté exceptionnellement de reproductions d’oeuvres de Matisse.

« Henri Matisse a vécu en France. Vous savez où est la France ? » demande aux élèves de 12-13 ans Wilhem Van Rensburg, professeur d’art à l’université de Johannesburg.

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« En Europe », répond une voix fluette. « Absolument ! » rebondit Wilhem, enthousiaste. « Quand vous prenez l’avion à partir de Johannesburg, vous volez en direction du nord, et au bout de dix heures, vous atterrissez à Paris qui est la capitale de la France. »

« Matisse est né en 1869 et a réalisé cet autoportrait en 1899 », explique encore Wilhem, montrant une reproduction d’un dessin à l’encre représentant Matisse cheveux en bataille et fines lunettes. « Quel âge avait-il ? Vous pouvez faire le calcul ? » demande-t-il, en posant la soustraction sur le tableau noir. « Trente ans », se lance un enfant.

Vers la fin de sa vie, « il est tombé malade et il ne pouvait plus peindre, alors il a commencé à couper et à coller », enchaîne Kathi Chapman, professeur d’art dont le talent de conteuse tient en haleine les enfants. Elle s’empare de feuilles colorées et d’une paire de ciseaux pour appuyer sa démonstration et pose des algues multicolores à la manière de Matisse sur le tableau noir.

Dans leur cahier d’arts plastiques « Rencontre Monsieur Matisse » – distribué le matin même et financé, comme l’atelier, par des partenaires français et Standard Bank -, les enfants découvrent et commentent le papier découpé « L’Escargot », une spirale réalisée selon la technique de « la peinture avec des ciseaux ».

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Au tour maintenant des écoliers d’imaginer l’animal de leur choix : nombre de filles optent pour un papillon, un garçon pour un serpent, un autre pour un dinosaure ou encore une girafe.

« Les couleurs rendent heureux »

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« Voyez les choses en grand. Coupez de gros morceaux de papier ! » conseille Mthokozisi Shabangu, étudiant en arts plastiques, qui assiste avec une dizaine d’autres camarades les enfants de l’école primaire de Molaetsa pour cet atelier exceptionnel.

« Allez, donne des vitamines à cette girafe, et puis aussi de la viande ! Elle est bien trop maigre », conseille Mthokozisi.

Les gamins, qui ne sont jamais allés au musée, qui ne connaissaient pas Matisse une heure auparavant, sourient et se sentent pousser des ailes.

« Ce sont des élèves tellement différents aujourd’hui. Ils sont vraiment impliqués dans ce qu’ils font, c’est essentiel pour apprendre », constate leur instituteur, Happy Majola, assis au fond de la salle. « Je ne devrais pas limiter ces enfants parce que cet atelier me montre qu’ils sont vraiment intelligents. »

Mthokozisi a déjà participé à une dizaine d’ateliers Matisse à Soweto, organisés à l’occasion de la première exposition du peintre français en Afrique, qui se déroule actuellement à Johannesburg.

Sur l’uniforme vert et or des enfants est cousu l’adage « L’éducation est une illumination ».

Bongwe, le visage encore poupin malgré ses 13 ans, se prend au jeu, comme ses camarades. « Je voudrais devenir un scientifique, à moins que je ne devienne artiste… » ose-t-il, tout en finissant le découpage et le collage d’une girafe pleine de promesses.

Deuxième exercice : colorier, à l’aide de crayons de couleurs fournis spécialement pour l’occasion, un masque, hommage à Matisse fasciné par la culture africaine.

« Trop souvent dans ces écoles, la seule occasion de dessiner, c’est avec des crayons de plomb, explique Kathi Chapman. Très peu d’élèves ont déjà utilisé des crayons de couleur, sans parler de feuilles de papier coloré. Les couleurs, ça rend heureux. »

L’atelier dure juste le temps d’une matinée, « mais on plante une graine », affirme Kathi Chapman. « Certains de ces enfants font déjà preuve de talents. On espère allumer une petite flamme au moins chez l’un d’entre eux et que certains pourront devenir des artistes. »

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