Stéphane Le Foll : « La France ne peut pas être en Afrique seulement pour garantir ses intérêts agroalimentaires »

Le ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, sera de mercredi à samedi au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Une grande première pour lui à titre personnel, et surtout l’occasion d’appeler à une évolution des pratiques agricoles afin de répondre aux enjeux climatiques, en amont de la COP 22 de novembre 2016 à Marrakech. Interview.

Stéphane Le Foll est le ministre français de l’Agriculture. © Xavier Remongin/Min.agri.fr

Stéphane Le Foll est le ministre français de l’Agriculture. © Xavier Remongin/Min.agri.fr

Publié le 26 juillet 2016 Lecture : 5 minutes.

Multiplication des couverts végétaux permanents, implantation de haies et d’arbres en milieu des champs, limitation du labourage et mise en avant du semis direct, épandage d’effluents et de compost plutôt que d’engrais… Telles sont quelques-unes des techniques d’agro-écologie et d’agroforesterie dont le ministre français de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, ira faire la promotion à travers le continent du 27 au 30 juillet.

L’objectif du ministre français est de rallier les bonnes volontés politiques et économiques de la région à son programme « 4 pour 1 000 », qui vise globalement au stockage d’une quantité accrue de carbone dans les sols. 4 ‰ – « 4 pour 1 000 » – est le taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols qui permettrait de stopper l’augmentation actuelle du CO2 dans l’atmosphère.

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Lancé officiellement à l’occasion de la dernière conférence internationale sur le climat de Paris (COP 21), où une trentaine de pays s’y étaient associés, le programme « 4 pour 1 000 » doit être doté d’un secrétariat exécutif rassemblant bailleurs internationaux et États avant l’échéance de la prochaine conférence internationale sur le climat, qui aura lieu des 7 au 18 novembre à Marrakech.

Pour sa grande première au sud du Sahara, Stéphane Le Foll ira au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, où des discussions avec les présidents Alassane Ouattara et Macky Sall sont prévues. Une rencontre avec Jacob Ouédraogo, le ministre burkibnabè de l’Agriculture est au menu. Des visites de plantations de cacaoyers en Côte d’Ivoire et de la Laiterie du berger au Sénégal, sont également prévues.

En amont de cette visite, le dirigeant français a répondu à nos questions.

Jeune Afrique : L’initiative « 4 pour 1 000 » est-elle compatible avec l’objectif d’auto-suffisance alimentaire, véritable urgence en Afrique ?

Stéphane Le Foll : Ce programme, dont l’objectif est de poser l’agriculture comme une solution dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, rejoint l’enjeu économique et social que représente une agriculture diversifiée, à forts rendements et transformatrice en Afrique.

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L’un des principaux leviers de ce programme repose sur des techniques agricoles marginales ou inexistantes en Afrique subsaharienne. À la « finance climat » – et ses 100 milliards de dollars par an – d’en assurer le développement ?

L’agro-écologie a besoin de se développer en Afrique, tout comme en Europe et en France. Ce qui appelle une politique en ce sens.

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Je voudrais sortir de la logique qu’ont portée les pays occidentaux et les ONG en ce qui concerne les cultures vivrières. Si culture vivrière il doit y avoir, elle doit viser l’autonomie alimentaire. Mais l’agriculture ne peut pas être que cela.

Le secrétaire général du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) estime à 100 millions le nombre de jeunes à qui il sera nécessaire de trouver un emploi dans la zone d’ici 15 ans. Quelles perspectives leur donne-t-on ? Produire plus tout en prenant davantage en compte les écosystèmes, avec en ligne de mire des investissements dans des capacités de stockage et de transformation des produits agricoles, c’est apporter une réponse pour dynamiser l’activité agricole.

Nous voulons qu’un chiffrage définitif soit clarifié d’ici la COP22 de Marrakech.

Il n’existe aucun chiffrage des besoins de financement de « 4 pour 1 000 » ?

Sur le plan du financement, l’Agence française de développement (AFD), en ce qui concerne la France, a intégré l’agro-écologie à ses priorités. J’ai plaidé le sujet auprès de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui sont associées au « 4 pour 1 000 ». Le Fonds vert pour le climat pourrait aussi contribuer à cette initiative tout comme l’Europe. Nous voulons qu’un chiffrage définitif soit clarifié d’ici la COP22 de Marrakech, avec une évaluation mondiale des besoins de financement.

Quels sont les États africains intéressés par ce projet ?

Nous avons rencontré la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui est d’ores et déjà signataire. Nous avons également échangé avec plusieurs pays, en particulier le Maroc qui assurera la présidence de la COP22. J’ai aussi eu l’occasion d’en discuter avec les ministres sénégalais et ivoirien qui m’accueillent en cette fin de semaine. Le Burkina Faso, que je vais également visiter, serait un candidat naturel puisque, il y a longtemps déjà, il avait souhaité explorer la voie de l’agro-écologie.

Maintenant que la politique agricole que nous défendons est claire, nous devons connecter les différents bailleurs de fonds tels que la Banque africaine de développement, qui a déjà fait connaître son intérêt. Globalement, nous voulons cibler les exploitations pionnières, et tout faire ensuite pour que ces techniques soient diffusées.

Quelle est la légitimité de la France pour intervenir sur ces sujets en Afrique ?

La France est reconnue comme un grand pays agricole et agroalimentaire. Les liens entre les secteurs agricoles africains et français sont très étroits. Nous avons un message à faire passer. Et ce sera aussi l’objectif de ce voyage que de songer à une réorganisation de notre coopération. Je ne serai pas accompagné d’industriels dans un premier temps mais j’ai bien dans l’idée de redéfinir nos priorités au travers de l’établissement de ponts avec nos instituts de recherche et nos industriels à chaque fois que cela est possible. Nous ne pouvons pas être en Afrique pour seulement garantir nos intérêts agroalimentaires.

Le « Made in France » ne produira pas toutes les céréales et la viande du monde.

Difficile à croire quand on sait que la France est parmi les premiers exportateurs agroalimentaires au monde. Comment concilier balance commerciale française et souverainetés alimentaires africaines ?

C’est compatible. Le « Made in France » ne produira pas toutes les céréales et la viande du monde, loin s’en faut.

Chacun doit atteindre une part la plus élevée possible d’autonomie et de souveraineté alimentaires.

Les États africains doivent y prendre toute leur place et la France peut y contribuer. À cet égard, l’Afrique de l’Ouest en particulier a un potentiel très fort. Nous devons rompre avec la condescendance à l’endroit de l’Afrique. Nous devons être des acteurs coopératifs.

Nous devons rompre avec la condescendance à l’endroit de l’Afrique.

Quel est l’objectif quand s’ouvrira la COP 22 ?

Que le « 4 pour 1 000 » rentre dans sa mise en œuvre, avec un secrétariat exécutif dédié, et que se mette en ordre de marche une évaluation du potentiel global de stockage de carbone dans les sols.

Un Giec de l’agro-écologie en quelque sorte ?

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) répète justement que sans agricultures et sans forêts, il n’y aurait pas moyen d’atteindre les objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Donc oui, un Giec de l’agro-écologie s’impose.

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